Répéter le mot en N ad nauseam sans aucune portée pédagogique. Mégenrer consciemment et à répétition des personnes étudiantes trans et non binaires. Couper le son du micro des personnes étudiantes pour qu’elles ne puissent poser des questions ou émettre des commentaires. Montrer, en tant que professeur, des plaintes concernant des gestes sexistes qu’on a posés et énoncer son intention de continuer de le faire. Voilà certains des comportements justifiés au nom de la liberté académique alors qu’ils nuisent à l’apprentissage et portent préjudice aux personnes étudiantes.
En effet, à plusieurs occasions durant la dernière année, nous avons constaté une instrumentalisation de la liberté académique pour réclamer le droit de tenir des propos discriminatoires ou provocateurs sans portée pédagogique, ainsi que pour se soustraire à toute critique ou discussion à cet égard.
Réfléchir à l’avance à l’exactitude de ses propos ou se questionner sur la possible perpétuation des stéréotypes dans les exemples choisis seraient des marques d’un climat d’autocensure.
Cette instrumentalisation de la liberté académique va pourtant à l’encontre de ses fondements mêmes. La liberté académique ne protège pas le droit de dire n’importe quoi. Elle protège plutôt la recherche rigoureuse des connaissances, la poursuite d’une société juste et égalitaire, ainsi que la contestation du pouvoir par les universitaires.
Un contexte réactionnaire
La commission Cloutier a rendu son rapport et, sans surprise, elle recommande l’adoption d’une loi sur la liberté académique. Rappelons que plus d’une centaine de membres du corps professoral ont vivement critiqué les sondages réalisés par la Commission. Plusieurs des questions s’inscrivent dans une fausse dichotomie : soit on soutient l’interdiction de certains mots, soit on considère que tout propos est acceptable.
Rappelons également que la commission est née dans la foulée de réactions à des événements ponctuels, selon lesquelles la liberté académique serait menacée par les personnes étudiantes radicales, racisées ou queer. En février 2021, le premier ministre François Legault appelle dans une publication Facebook à l’action urgente pour faire face à une situation « en train de déraper ». Quatre fois, il répète qu’il faut se tenir ferme contre les « radicaux » pour protéger la liberté d’expression. On entend le même ton alarmiste dans la sortie commune des ministres français et québécois de l’éducation en octobre 2021 « contre l’obscurantisme ».
Parmi ces « radicaux », on pourrait compter pourtant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui soutient qu’une liberté académique exempte de discrimination requiert une valorisation des savoirs des groupes marginalisés et peu représentés à l’université.
On pourrait y compter aussi l’UNESCO, qui considère que les établissements devraient contribuer à l’exercice des droits économiques, sociaux, culturels et politiques et veiller à empêcher toute utilisation du savoir sous une forme préjudiciable à ces droits.
Le premier ministre donnait un exemple : des « radicaux » ont harcelé une professeure pour avoir utilisé les mots « homme » et « femme ». Qu’en est-il réellement ? Des personnes étudiantes issues de la diversité de genre ont commis l’impardonnable offense de mentionner à leur professeure que celle-ci devrait éviter de mégenrer certaines personnes dans la classe et que l’expression « hommes et femmes » n’inclut pas les personnes non-binaires. Ces personnes représentent la menace à laquelle on veut s’attaquer, afin d’épargner aux personnes enseignantes tout commentaire critique et toute forme de mobilisation étudiante. En ce sens, il ne faut pas minimiser l’impact négatif d’une telle loi sur l’expression politique étudiante, notamment la grève étudiante.
Obstacles à la liberté académique
Alors que la commission Cloutier exclut explicitement la communauté étudiante des bénéficiaires de la liberté académique, nous défendons au contraire une vision de la liberté académique qui inclut notre droit de s’exprimer sur le contenu académique, les méthodes d’enseignement ou encore les propos tenus par une personne enseignante. Les véritables obstacles à la liberté académique se situent ailleurs.
L’accès inégal à l’éducation et aux postes universitaires prive systématiquement certains membres de la société de la liberté académique et du droit à l’éducation, qui est un de ses corollaires. La discrimination à l’université et les violences sexuelles ou raciales y ayant lieu empêchent l’exercice effectif de la liberté académique par plusieurs membres de la communauté universitaire. Il en est de même avec la répression des positions militantes qui prend la forme, par exemple, d’obstacles dans la carrière des personnes enseignantes ciblées pour leurs positions pro-palestiniennes.
La marchandisation de l’éducation, exemplifiée par des mesures caquistes visant à arrimer les programmes aux besoins du marché, menace la liberté académique du corps professoral et de la communauté étudiante. L’ingérence du marché dans l’enseignement supérieur mine aussi l’autonomie universitaire, qui est une condition nécessaire à la liberté académique. Notons que la commission reste silencieuse dans ses recommandations quant à l’influence des bailleurs de fonds publics ou privés sur la liberté académique.
Cela nous amène à voir l’idée d’un projet de loi sur la liberté académique comme ce qu’elle est réellement : une attaque contre l’autonomie des établissements d’enseignement, un appel à la répression de la communauté étudiante et un moyen populiste pour rallier la population contre les idées progressistes.
Signataires
Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM (AFESPED)
Association du module d’enseignement en adaptation scolaire et sociale (AMEASS)
Association générale des étudiants et des étudiantes du Cégep de Sorel-Tracy (AGEECST)
Association étudiante aux cycles supérieurs en éducation de l’UQAM (AÉCSÉd)
Association étudiante du module d’histoire de l’UQAM (AÉMH)
Association facultaire étudiante des arts de l’UQAM (AFÉA)
Association étudiante du secteur des sciences de l’UQAM (AESS)
Association étudiantes de premier cycle en sciences de l’environnement de l’UQAM (AEE)
Société générale des étudiantes et étudiants du Collège de Maisonneuve (SOGÉÉCOM)
Association des étudiant·e·s de la maîtrise et du doctorat en communication (AéMDC)
Association étudiante modulaire d’études littéraires de l’UQÀM (AÉMEL)
Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’UQÀM (AFESH)
Association des étudiantes et étudiants en sociologie premier cycle et au certificat en immigration et relations interethniques (AEESPC-CIRI)
Association étudiante de deuxième cycle en géographie (AEDCG)
Association étudiante des études avancées en sociologie de l’UQAM (AEEAS)
Association générale des étudiants et étudiantes de Montmorency (AGEM)
Association étudiante à la maîtrise et au doctorat en muséologie à L’UQAM (AÉMDM-UQAM)
Association des étudiants et étudiantes en histoire de l’art de l’Université de Montréal (AEEHAUM)
Regroupement des étudiantes et étudiants en sociologie de l’Université de Montréal (RÉÉSUM)
Association des étudiant·e·s en littératures de langue française de l’Université de Montréal (AELLFUM)
Association étudiante en gestion des ressources humaines (AéGRH)
Association étudiantes modulaire de sexologie (AEMS)
Association générale étudiante du campus à Rimouski de l’UQAR (AGECAR)
Association étudiante de travail social de l’Université de Montréal (AÉTSUM)
Association des étudiant.e.s gradué.e.s en Sciences et Génie de l’Université Laval (AEGSEG)