À moins d’un an des élections provinciales, le gouvernement de François Legault entend conditionner les bourses étudiantes et les enveloppes budgétaires aux programmes qui sont en adéquation maximale aux besoins du marché.
Tel qu’annoncé dans le mini-budget du ministre des Finances du Québec, plus de 2,9 milliards $ seront dédiés à la formation au sein des domaines d’activité en haute demande de main-d’œuvre comme le génie, les technologies de l’information, la construction, la santé et les services sociaux, l’éducation et les services de garde éducatifs à l’enfance. De ce montant, 1,7 milliard $ servent à la création d’un programme de bourses pour les personnes étudiant à temps plein dans l’un de ces domaines. Au terme de leur formation, ces personnes pourront recevoir jusqu’à 9000 $ au collégial et entre 15 000 $ et 20 000 $ à l’université.
En fait, à l’université, ce programme de bourses revient tout au plus à payer les frais de scolarité des personnes étudiant à temps plein dans certains programmes d’études. En effet, les droits de scolarité et autres frais obligatoires annuels atteignent désormais 4310 $ pour un.e étudiant.e à temps plein au premier cycle et ces coûts connaissent une hausse moyenne de 111 $ par année.
Rappelons que la mesure caquiste ne favorise que les personnes ayant l’option d’étudier à temps plein, alors que les personnes ne pouvant que réaliser leur étude à temps partiel, par exemple certains parents étudiants, seront financièrement désavantagées.
D’ailleurs, il y a fort à parier que cette annonce ne constitue pas une mesure éphémère qui disparaîtra au bout de cinq ans. En effet, une fuite d’une rencontre à huis clos tenue en juin entre les rectorats de la province ainsi que le premier ministre dévoilait que ce dernier avait déjà le désir d’arrimer davantage l’enseignement aux besoins du marché.
Dans un contexte de mal-financement des établissements postsecondaires et de droits de scolarité universitaires élevés, cette mesure, en plus de trahir l’un des buts premiers du système public d’éducation postsecondaire du Québec, reproduit une marchandisation de l’éducation en forçant les étudiant.es à développer un rapport en termes de coûts-bénéfices vis-à-vis de leur formation.
Bien que le financement des études soit une initiative des plus pertinentes, d’autres options, notamment la gratuité scolaire, pourraient, pour des coûts similaires, produire des effets plus bénéfiques en termes de diplomation et de lutte contre les inégalités.
Pour une meilleure accessibilité aux études
En fait, alors que les mesures bonbon annoncées totalisent plusieurs milliards de dollars, la gratuité scolaire au cégep et à l’université reviendrait à 1,36 milliard $ par an, soit environ 1,1 % du budget du gouvernement du Québec, si l’on se fie aux données de Statistique Canada.
Comme l’a montré l’IRIS en 2007, les périodes de gel engendrent une hausse du taux d’inscription de près de 20 % au baccalauréat. Conséquemment, imaginez l’impact de l’abolition des frais de scolarité sur la fréquentation de l’ensemble des programmes, dont ceux ciblés par le gouvernement.
En outre, abolir les frais de scolarité pourrait constituer une mesure beaucoup plus efficace pour favoriser la complétion générale des études à temps. En effet, les personnes étudiantes n’auraient pas à consacrer une partie de leur temps à travailler pour payer leurs droits de scolarité.
Trahison de la mission du système d’éducation
Il y a maintenant plus de 60 ans, le rapport Parent définissait que le système d’éducation avait deux buts principaux : s’assurer de fournir une main-d’œuvre qualifiée qui favorise le développement économique et social ; former des citoyen.nes doté.es d’un sens critique, capables de participer à la vie démocratique et de se prémunir contre la manipulation et l’aliénation qui pourrait résulter de la société de consommation et de communication.
Or, les mesures annoncées compromettent ce deuxième aspect. En ciblant certains programmes aux dépens des autres, le gouvernement caquiste signifie que l’investissement que représente le système d’éducation publique doit produire des connaissances et des formations qui se traduisent par des retombées économiques directes. La qualité sociale de l’éducation lui apparaît comme du « gaspillage », dont l’investissement ne vaut pas la chandelle.
En d’autres termes, les établissements d’enseignement se muent en des usines de production de main-d’œuvre devant répondre qualitativement et quantitativement aux exigences du marché et non au bien-être de la société. Dans cette perspective, nul besoin de permettre à l’ensemble des citoyen.nes de contribuer à la vie politique et sociale par une compréhension des enjeux sociaux et par la transmission des savoirs culturels, intellectuels et scientifiques.
Inégalités sociales
Les frais de scolarité constituent une barrière à l’entrée aux études supérieures qui n’est pas vécue également par tout le monde. En effet, étudier à l’université représente pour beaucoup un endettement de plusieurs milliers de dollars qui devront être remboursés aux termes des études, en plus des intérêts.
Or, il est largement connu qu’il existe au Québec des écarts salariaux entre les hommes et les femmes et entre les personnes blanches et les personnes racisées. Dès lors, l’endettement étudiant provoqué par des frais de scolarité élevés fait en sorte que certains groupes sociaux paieront plus cher pour leur éducation. Ainsi, du fait des discriminations sur le marché de l’emploi, le fardeau financier de l’éducation est plus important pour certains groupes d’individus.
Enfin, l’accès à l’éducation postsecondaire est un facteur déterminant dans l’émancipation des groupes opprimés par le genre, la race, la classe et le handicap. Les études et la recherche constituent des outils pratiques à la théorisation de leur propre oppression et les moyens de travailler à subvertir cet état.
En somme, le gouvernement pourrait profiter des revenus additionnels pour réaliser des mesures incitatives pour favoriser la participation de tous et de toutes à l’ensemble des programmes d’éducation. La gratuité scolaire pourrait profiter à chaque génération en soutenant l’accès au banc des universités, ce qui se traduirait par une amélioration de leur niveau de vie, de leur capacité à participer aux décisions politiques, à la vie sociale et ainsi, à une diminution généralisée des inégalités.
Signataires
Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM (AFESPED)
Association facultaire étudiante des arts de l’UQAM (AFEA)
Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM (ADEESE)
Association étudiante d’anthropologie de l’Université de Montréal (AÉAUM)
Regroupement des étudiant-e-s en sociologie de l’Université Laval (RÉSUL)
Association générale étudiante du campus à Rimouski de l’UQAR (AGECAR)
Association étudiante du secteur des sciences de l’UQAM (AESS)
Mouvement des Associations Générales Étudiantes de l’UQAC (MAGE-UQAC)
Association Facultaire Étudiante des Sciences Humaines de l’UQAM (AFESH)
Association Facultaire Étudiante des Langues et Communication (AFELC)
Association générale étudiante du Cégep du Vieux Montréal (AGECVM)