Le lac Simard | Photo : Steeve Mathias
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La Première Nation de Long Point exige d’avoir son mot à dire sur un projet minier qui cible son territoire

La mine ferait partie d’un grand projet de trois gisements à travers l’Abitibi-Témiscamingue. Tous sont contestés par les communautés locales.

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Un projet de mine de lithium à ciel ouvert menace le territoire et les activités traditionnelles de la Première Nation de Long Point, au Témiscamingue. Comme le projet n’est pas soumis à une analyse du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), la nation exige de pouvoir mener sa propre évaluation.

La Première Nation de Long Point veut évaluer elle-même un projet minier qui cible son territoire. Il s’agit du projet Tansim, une mine de lithium à ciel ouvert que la minière australienne Sayona souhaite développer à une dizaine de kilomètres de Winneway, où est basée la nation.

Le 21 mars dernier, le Conseil de la Première Nation de Long Point a écrit au gouvernement du Québec pour lui faire part de ses demandes. Elle désire obtenir le soutien financier et technique nécessaire pour faire sa propre évaluation des impacts que la mine aurait sur l’environnement et sur son mode de vie. Elle veut aussi des garanties que le gouvernement respecterait ses conclusions.

« Les conclusions de notre propre évaluation devront avoir un poids déterminant dans la décision d’autoriser ou non le projet », insiste Steeve Mathias, chef du Conseil.

Puis, ce jeudi, une dizaine de groupes de la société civile d’Abitibi-Témiscamingue ont apporté leur soutien aux demandes de la communauté. « Les membres de la Première Nation de Long Point sont les mieux placés pour analyser et prendre position sur les impacts des projets miniers qui les affectent », a signalé Élise Blais-Dowdy, co-porte-parole du Comité citoyen de protection de l’esker. Ce Comité conteste un autre projet de Sayona, la mine Authier à La Motte en Abitibi.

Les projets Tansim et Authier font partie d’un ensemble minier plus vaste porté par Sayona et consacré à l’exploitation du lithium en Abitibi-Témiscamingue [voir encadré]. La Première Nation de Long Point et ses alliés demandent que tous ces projets soient soumis à une unique analyse du BAPE, qui tiendrait compte de leurs effets cumulés sur la région. L’évaluation réalisée par la Première Nation de Long Point s’inscrirait dans cette grande analyse.

« Tous les projets de Sayona sont interreliés. Il faut donc évaluer en amont les impacts environnementaux de l’ensemble des activités de Sayona Mining pour permettre au public de se prononcer sur les réels enjeux environnementaux, sociaux et économiques », explique Félix-Antoine Lafleur, président du Conseil central de l’Abitibi–Témiscamingue–Nord-du-Québec, à la CSN.

Risques sociaux et environnementaux

Dans le cadre du projet Tansim, l’entreprise Sayona veut développer une mine de lithium à ciel ouvert sur les rives du lac Simard. La communauté de Winneway est située tout près de là, aux abords du même lac.

Les droits miniers de Sayona (en bleu et en rose) couvrent 20 250 hectares, sur les deux rives de la rivière des Outaouais et sur toute la rive nord du lac Simard. La communauté de Winneway est située au sud-est du lac. | Image : Sayona Québec, adaptée par Pivot

Une consultation menée dans la communauté au printemps 2021 a montré que le projet minier soulevait de vives inquiétudes. « Les gens sont méfiants, très méfiants », avait confié à Pivot le chef Steeve Mathias, l’automne dernier.

La zone visée est encore peu affectée par l’exploitation des ressources, signale le Conseil de la Première Nation de Long Point. Il s’agit d’un lieu significatif pour la communauté, qui y pratique couramment la chasse, la pêche ou encore la récolte de plantes. Or, le projet minier Tansim menace de bouleverser ces activités.

La mine de Sayona aurait aussi d’importants impacts sur les cours d’eau et les milieux humides, nombreux dans la zone convoitée par Sayona, souligne la Première Nation.

« On n’est pas prêts à faire ce genre de sacrifices là », selon Steeve Mathias.

DES PROJETS INTERRELIÉS, À ÉVALUER ENSEMBLE

En plus du projet Tansim au lac Simard, Sayona compte exploiter deux autres mines de lithium à ciel ouvert en Abitibi-Témiscamingue.

La mine Authier, à La Motte, serait implantée à quelques mètres d’une source abritant une eau parmi les plus pures au monde, l’esker de Saint-Mathieu-Berry.

Le complexe minier Lithium Amérique du Nord, à La Corne, a récemment été racheté par Sayona, qui compte relancer et développer le projet. C’est là que se trouvent les installations de transformation où serait envoyée la roche extraite sur les trois sites. On y trouve aussi une source d’eau de grande qualité, la Moraine d’Harricana.

À l’heure actuelle, seul le projet Authier doit être soumis à une évaluation du BAPE, à l’insistance de la communauté locale. Le complexe Lithium Amérique du Nord y échappera, même s’il est appelé à prendre beaucoup d’expansion, critique Marc Nantel, du  Regroupement vigilance mines de l’Abitibi et du Témiscamingue (Revimat). « Le projet n’est plus du tout le même, il faut faire les évaluations en tenant compte des trois mines », insiste-t-il.

« Ça va faire des montagnes de résidus incroyables, avec des impacts énormes sur la zone où ça sera stocké », remarque-t-il. De plus, le transport de la roche entre le Témiscamingue et l’Abitibi poserait des risques, concernant notamment le bruit et la poussière. Cela compliquerait aussi le remplissage de la mine à ciel ouvert une fois son exploitation terminée.

Pour le projet Tansim, au lac Simard, Sayona détient les titres miniers nécessaires au projet et a déjà mené les premiers forages d’exploration. Une seconde phase de travaux était prévue à l’été 2021, mais elle a été suspendue par le gouvernement, à la demande de la Première Nation de Long Point.

À l’heure actuelle, l’état du dossier demeure incertain, explique Marc Nantel, du Regroupement vigilance mines de l’Abitibi et du Témiscamingue (Revimat). Une étude du BAPE n’est pas à l’ordre du jour, indique-t-il toutefois.

« Mais on connait la mentalité de l’industrie minière et de la CAQ, on craint qu’ils arrivent avec leurs gros sabots et qu’ils donnent le go », s’inquiète Marc Nantel. Trop souvent, le gouvernement « laisse aller » des projets miniers et il ne discute avec les groupes autochtones et citoyens qu’après coup, pour des ajustements mineurs, déplore le porte-parole du Revimat.

Le gouvernement Legault met beaucoup de l’avant le développement des « minéraux stratégiques », utilisés dans des technologies électriques permettant de remplacer le pétrole. Le lithium sert notamment à la fabrication de batteries pour les véhicules électriques. Sayona présente d’ailleurs son projet comme une entreprise écologique.

Tout cela ne rassure pas la Première Nation de Long Point. « Le gouvernement ne peut prétendre agir de manière écoresponsable si son plan pour la création de batteries au lithium porte encore atteinte aux droits ancestraux des Premières Nations et nous empêche de prendre part à un processus d’évaluation respectueux de notre présence sur notre territoire », affirme le chef Steeve Mathias.

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