« Depuis quelques années, des gens du monde des sciences sociales se questionnent sur le fait que l’Université de Montréal n’ait plus de professeur spécialiste de l’histoire du Québec », écrit Mario Dumont dans un texte publié samedi dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec. Cette affirmation est fausse.
Il suffit de consulter le site Web du département d’histoire de l’Université de Montréal (UdeM) pour constater que neuf de ses professeur·es travaillent sur l’histoire du Québec [voir encadré]. Là-dessus, sept y consacrent tous ou presque tous leurs travaux de recherche et d’enseignement. Deux autres consacrent une partie de leurs efforts à l’histoire du Québec, en même temps qu’à celles d’autres régions du monde. Le département compte un total de 23 professeur·es.
Plusieurs des professeur·es supposément inexistant·es ont réagi sur les réseaux sociaux pour démentir l’information mensongère véhiculée par Mario Dumont. « Depuis 22 ans, j’enseigne l’histoire du Québec à l’UdeM alors qu’il n’y a pas de profs d’histoire du Québec là-bas! Et tous ces collègues d’histoire du Québec que j’y croisais… Ce n’était qu’une illusion… », a par exemple blagué Ollivier Hubert.
Lundi matin, Mario Dumont a répondu aux critiques en défendant sa chronique : « Comprenez bien que je maintiens totalement ce que j’affirme et qui est la vérité », a-t-il écrit sur Twitter.
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Une rectification elle aussi erronée
Quelques heures plus tard, l’ex-politicien a précisé son propos, mais sans pour autant retirer son affirmation initiale. « Il y a des professeurs qui se spécialisent dans des thèmes comme le colonialisme, le féminisme, les affaires autochtones… et le font dans le contexte québécois. Un historien qui s’intéresse à la trajectoire d’affirmation de la nation québécoise…? Non. »
Dans sa chronique, Mario Dumont déplorait déjà qu’on n’y trouvait « aucun historien nationaliste passionné de l’histoire du Québec ». « Rien sur le parcours d’un peuple parlant français contre vents et marées, des plaines d’Abraham jusqu’au rapport Durham, de la Confédération jusqu’à aujourd’hui », écrivait-il.
« Mario Dumont affirme plusieurs choses », remarque en entrevue Catherine Larochelle, professeure d’histoire du Québec à l’UdeM. « Il dit d’abord qu’il n’y a “plus de professeur spécialiste de l’histoire du Québec” dans notre département, puis il apporte d’autres précisions. Mais ça [sa déclaration initiale], c’est faux. Et il l’a quand même écrit noir sur blanc. »
Qui plus est, Catherine Larochelle dément catégoriquement l’idée que personne à l’UdeM ne s’intéresse à « la trajectoire d’affirmation de la nation québécoise ». « Moi je m’y intéresse! » lance-t-elle. « Précisément, mon dernier livre porte en partie là-dessus, sur la manière dont la nation s’est construite » à travers l’école québécoise, avec une dimension critique, explique la chercheuse.
Elle remarque aussi que les questions coloniales et autochtones, évoquées par Mario Dumont, « sont des thèmes absolument liés à la trajectoire de la nation québécoise ».
En fait, en voulant nuancer son propos, Mario Dumont a formulé une nouvelle affirmation erronée, souligne Catherine Larochelle. « Il n’y a pas de spécialiste du féminisme en contexte québécois dans notre département », indique-t-elle. Toutefois, certain·es professeur·es, dont Mme Larochelle, se penchent sur l’histoire des femmes québécoises : c’est différent, précise-t-elle.
« Donc Mario Dumont a encore tort sur toute la ligne. »
« Contes et légendes québécois »
Au fond, le chroniqueur aurait voulu des professeur·es qui enseignent « l’affirmation de la nation québécoise sous un jour toujours positif, en sortant les statues et les trompettes », remarque Catherine Larochelle.
« Son histoire nationale se résume à trois, quatre événements politiques et quelques grands personnages, quelques hommes de la classe dirigeante. »
« Mais c’est avoir une conception de l’histoire qui n’est pas du tout en phase avec l’histoire universitaire. Elle sert à comprendre le passé, c’est de la recherche. Mais clairement Mario Dumont voudrait qu’on raconte son livre de contes et légendes québécois. »
« C’est paradoxal, parce que ce sont les mêmes commentateurs qui se portent à la défense de la liberté universitaire, mais là, tout d’un coup, on est en train de nous dire ce qu’on devrait faire et comment », déplore Catherine Larochelle.
Lundi après-midi, la chronique était toujours en ligne sur le site du Journal de Montréal. Aucun rectificatif ne l’accompagnait.
Professeur·es d’histoire du Québec à l’Université de Montréal et leurs principales spécialités
Mathieu Arsenault : Histoire du Québec et du Canada, histoire autochtone, 19e-20e siècles
Carl Bouchard : Pacifisme en France et au Québec, 20e siècle
Michèle Dagenais : Villes au Québec et au Canada, 18e-20e siècles
Dominique Deslandres : Histoire sociale et religieuse comparée en Europe et en Amérique, notamment en Nouvelle-France, 16e-18e siècles
Helen Dewar : Histoire de la Nouvelle-France au sein du monde Atlantique, 17e-18e siècles
Ollivier Hubert : Histoire culturelle du Québec et du Canada français, éducation, religion 18e-19e siècles
Catherine Larochelle : Histoire culturelle et transnationale du Canada français, éducation, impérialisme, 19e-20e siècles
David Meren : Histoire internationale du Québec et du Canada, 20e siècle
Thomas Wien : Histoire de la Nouvelle-France et de ses échanges transatlantiques, 17e-18e siècles