Le mois dernier, un accord à l’amiable a finalement été conclu entre le prince Andrew et Virginia Giuffre, la femme qui l’accusait de l’avoir agressé sexuellement en 2001. Comme femme et comme avocate, cette affaire m’interpelle.
L’adage selon lequel « The King can do no Wrong » avait force de loi. Au Canada, ce n’est que dans les années cinquante que le droit a reconnu que le Roi, la Couronne et le gouvernement pouvaient être tenus responsables. Dans l’histoire des démocraties, c’est un changement culturel plutôt récent. Oui, The prince can do wrong .
Mais dans la stratégie juridique mise en œuvre pour contrer la poursuite en responsabilité à la suite de présumées agressions sexuelles commises par le Prince Andrew envers Virginia Giuffre, on sentait des relents de cette immunité, qui devenait impunité.
Les multiples attaques envers Mme Virginia Giuffre visaient à la transformer en prédatrice financière (gold digger) alors que, mineure, elle avait été recrutée par Epstein et Maxwell dans le cadre d’une traite sexuelle.
On ne peut s’empêcher de se demander comment le concept de « l’honneur de la Couronne » a été pris en compte par le prince. Ce principe veut que chaque personne occupe une place dans la hiérarchie sociale britannique. Ce qui lui donne droit à des privilèges, mais lui impose aussi des devoirs et des obligations liés à la vertu et à des notions distinctes du « bien, du beau et du sacré ».
Un acte qui fait sourciller est la tentative du Prince Andrew de faire tomber la poursuite en prétendant qu’il pouvait invoquer un règlement confidentiel intervenu dans un litige dans lequel il n’était pas partie. Argument pour le moins créatif, que la Cour, au stade de la requête pour rejet, n’a pas retenu car elle a considéré que le règlement confidentiel ne visait pas clairement le prince. En janvier 2022, le tribunal a donc statué que la poursuite ne pouvait être rejetée sur cette base.
L’événement a précipité le dénouement que l’on connaît, puisque certaines informations du règlement ont été rendues publiques.
Le Prince Andrew n’a jamais eu l’intention de dénigrer Mme Giuffre, et il reconnaît qu’elle a souffert à la fois en tant que victime avérée d’abus et à la suite d’actes de violence. Elle a été victime d’abus qui ont mené à des attaques publiques injustes. Il est connu que Jeffrey Epstein a trafiqué d’innombrables jeunes filles pendant de nombreuses années. Le Prince Andrew regrette son association avec Epstein, et salue le courage de Mme Giuffre et des autres survivants qui ont pris la défense d’eux-mêmes et des autres. Il s’engage à démontrer ses regrets pour son association avec Epstein en soutenant la lutte contre les méfaits du trafic sexuel, et en soutenant ses victimes.
Ce règlement reconnaît la souffrance de Mme Giuffre à la suite d’actes de violence. La compensation financière est la reconnaissance que tous peuvent être tenus responsables des actes d’abus et de violence.
Il y a de drôles de hasards. Quelques jours avant que des parties de l’entente ne deviennent publiques, j’ai vu le film Promising young woman. Sans vouloir vendre la mèche, voici de quoi parle ce film, sorti en décembre 2020 : on y suit Cassie, le personnage principal, une femme qui traine dans les bars, saoule, une femme qui semble déphasée; bref, une femme à la dérive. Elle est aussi une boursière qui a abandonné ses études en médecine. Une outsider qui s’est frottée au Boys Club, ce club qui regroupe des hommes d’un certain milieu – ici les membres de l’élite que sont les étudiants en médecine – qui mettent tout en œuvre pour protéger leurs intérêts. Un club qui valorise une forme d’omerta pour maintenir son pouvoir.
Ce film dévoile les mécaniques du pouvoir qui sont au cœur du Boys Club. La vulnérabilité des femmes est exposée face à ce club de membres qui pratiquent « l’entre nous ». Les outsiders, comme les Cassie de la classe moyenne, sont des parties négligeables dont on peut disposer en toute impunité.
Le film montre aussi que la mécanique de ce club ne se limite pas aux hommes. L’outsider Cassie confronte la doyenne de la Faculté de médecine à propos d’un événement outrageusement monstrueux qui s’est passé dans les murs de cette Faculté.
La doyenne non seulement prétend ne pas être au courant, mais elle minimise aussi les faits afin de protéger les enfants des membres du Boys club qui lui ont donné accès au pouvoir, pouvoir fragile qui lui est accordé au bon plaisir du Boys club.
Cette scène dévoile la tension qui existe entre le fait d’être une femme et de vouloir accéder aux hautes sphères du pouvoir. La présumée solidarité féminine fond sous nos yeux comme neige au soleil. On ne mord pas la main qui nous nourrit! C’est seulement lorsque ses intérêts personnels sont en cause que le personnage de la doyenne devient « solidaire ».
C’est ainsi que la violence du Boys Club, qui devient une violence institutionnelle, nous est lancée en plein visage. Impossible de l’ignorer. Cassie mettra tout en œuvre pour dévoiler et démonter les mécanismes de ce Club.
Comme le souligne la professeure Martine Delvaux, c’est en Angleterre que le « good old boys club » a vu le jour : un réseau d’hommes issus des écoles privées fréquentées par les membres de l’aristocratie et de l’élite. Des lieux qui furent fréquentés par le Prince Andrew, membre du pouvoir ultime qu’est la royauté.
Et c’est pourquoi le règlement intervenu est important, il touche des structures non seulement machistes, mais aussi celles des castes (aristocratie) et celle du pouvoir.
Mme Virginia Giuffre, cette femme qui était mineure et travaillait comme massothérapeute, a été prise au piège. Elle est tombée dans le filet d’un des réseaux de pédophiles les plus puissants. Cette femme, venue de nulle part, a eu le courage d’une lionne. Le courage de traîner les puissants de ce monde devant la justice américaine non pas une fois, mais deux fois. Une outsider qui a osé attaquer le super Boys Club et son impunité.
Lorsque je pense à Mme Virginia Giuffre et au personnage de Cassie, je vois la fille sans peur, la sculpture de Kristen Visbal qui confronte le taureau de Wall Street. Grâce à leur force indéfectible et leur bravoure, elles osent s’attaquer aux Boys Clubs, dans la fiction, et dans la réalité.