Des aîné·es ayant touché la prestation canadienne d’urgence (PCU) pendant la pandémie ont, depuis, subi des coupures sans préavis de leur supplément de revenu garanti (SRG). Faute d’avoir pu anticiper cette perte de revenu, ils font face aujourd’hui à de graves difficultés financières : évictions, difficultés à payer leur médication… Le gouvernement fédéral a annoncé des sommes pour leur venir en aide, mais pour les intervenant·es sur le terrain, cette aide ne peut plus attendre.
Au début de la pandémie, plusieurs voisins dans l’immeuble de Jacqueline Lochard, une peintre autodidacte de 68 ans, étaient atteints de la COVID. Elle a eu peur de tomber malade en utilisant la buanderie commune. Alors elle est allée vivre chez un membre de sa famille. Une fois installée, elle s’est fait demander 1000 $ par mois, qu’elle a donc dû verser en plus de son loyer, qu’elle continuait de payer. « J’étais dans une situation très difficile », dit-elle, « c’était la panique ».
La propriétaire de la maison où elle a habité temporairement lui a donc suggéré de faire une demande de PCU. Mme Lochard s’est exécutée. Mais elle déplore qu’elle n’ait « pas été encadrée, personne ne m’a expliqué les choses ». Elle a reçu cette aide d’urgence pendant quatre mois. Plus tard, et parce qu’elle a entre-temps perdu son premier logement suite à un différend avec sa propriétaire, elle a été obligée de déménager à nouveau. Elle a résidé temporairement dans un Airbnb. « Mon frère a payé le premier mois », dit-elle. Une travailleuse sociale rencontrée lui a dit qu’elle allait devoir aller dans un refuge, mais elle a heureusement réussi à se reloger.
« Ce n’était pas facile, mais je m’en sortais », raconte Mme Lochard, « je me disais que je pouvais déménager dans un logement plus petit l’année suivante ». Mais ses difficultés n’étaient pas terminées. Mme Lochard recevait le supplément de revenu garanti, et un jour, le chèque attendu n’est pas arrivé. « À partir de mes impôts, ils ont vu une entrée d’argent supérieure à la normale et ils ont décidé de couper 400 $ par mois », dit-elle. Cette coupure brutale et sans préavis compromet sa capacité à payer son loyer : « Je me suis trouvée quasiment dans la rue. »
Pour Henrika Larochelle, organisatrice communautaire au Projet Genèse, un organisme communautaire offrant des services d’aide et d’accompagnement, cette situation est loin d’être isolée. « Nous voyons des aînés qui se retrouvent à la rue », s’insurge-t-elle, « ils n’ont pas d’autres choix et se retrouvent dans des refuges. C’est vraiment désolant. »
Le supplément de revenu garanti est calculé en fonction du revenu de l’année précédente. La PCU a rendu plusieurs aîné·es inéligibles au supplément.
« Ce sont les aînés les plus vulnérables qui reçoivent le revenu minimum garanti », rappelle Henrika. Elle déplore le manque d’information communiquée par le gouvernement fédéral. Celui-ci a d’ailleurs admis le manque de clarté de ses communications, quant aux critères d’admission pour l’octroi de la PCU.
La coordonnatrice de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR) Sherbrooke, Isabelle Guérard, rappelle que « beaucoup d’aîné·es étaient éligibles à la PCU. » Que l’on travaille 5 ou 40 heures, le montant alloué pour les personnes qui avaient perdu leur emploi était le même. « Les gens se faisaient dire de ne pas s’inquiéter, que les problèmes seraient réglés plus tard », ajoute-t-elle.
183 000 personnes au Canada ont subi une réduction ou une perte du SRG en juillet 2021, lorsque l’éligibilité au revenu garanti a été recalculée. Un peu plus de la moitié sont âgés de 65 à 69 ans. 15 %, soit un peu plus de 27 000 personnes, sont âgées de 75 ans et plus.
Trop peu, trop tard
Sophie Godin, porte-parole pour Emploi et développement social Canada, explique que le gouvernement va verser jusqu’à 742 millions $ pour « atténuer les difficultés financières des prestataires du SRG ». Ce montant sera distribué à partir du mois de mai.
« C’est trop peu, trop tard », se désole l’intervenante de Projet Genèse, « les aîné·es, qui ont vidé leurs épargnes, qui n’ont plus de ressources, font face à des évictions en ce moment ».
C’est ce qui est arrivé à Michael Pokocky. Cet ancien courtier en bourse, et père de quatre enfants, supplémentait son revenu comme travailleur autonome avant la pandémie. Il pensait donc être éligible à la PCU et a fait une demande. « Ils n’ont fait aucune vérification », dit-il. En juillet dernier, il a vu ses allocations amputées de 900 $ par mois.
« J’ai rempli mes cartes de crédit », explique-t-il. Ne parvenant pas à payer son loyer, il s’est fait évincer à l’automne. « Je suis sorti de mon logement avec un sac à dos et les vêtements que je portais sur le dos », explique-t-il. Il est allé vivre chez l’un de ses enfants quelques semaines. « Je ne voulais pas leur causer de stress, alors je ne suis pas resté là très longtemps. »
Une campagne de sociofinancement sur la plateforme Gofundme lui a permis de récolter quelques centaines de dollars. La vente en ligne d’un livre qu’il a écrit sur son parcours et ses difficultés de santé mentale lui permet de récolter un peu d’argent à l’occasion. Il s’est trouvé une chambre pour l’instant, mais doit la quitter au courant du mois de février. « Ça a été une année difficile », soupire-t-il.
Moins d’argent, mais une prime à payer supplémentaire
Après une opération à l’œil, qu’elle a subi peu de temps après la perte du revenu minimum garanti, Mme Lochard a aussi eu la mauvaise surprise de recevoir une facture pour ses médicaments. Pourtant, habituellement, ses médicaments ne lui coûtent rien. De la pharmacie, elle a appelé un ami qui a pu la dépanner. « Je suis allée voir une travailleuse sociale au CLSC qui a pu obtenir un montant de 300 $ de Jeunesse au Soleil », raconte-t-elle. Ce montant est maintenant épuisé.
La Loi sur l’assurance médicaments prévoit qu’une personne de plus de 65 ans qui reçoit 94 % ou plus du montant maximal du supplément de revenu garanti est exonérée du paiement de la prime. « Comme la prime varie effectivement selon les revenus, la personne peut changer de catégorie pour les contributions lorsque son revenu varie », explique Caroline Dupont, porte-parole à la Régie de l’assurance maladie du Québec. « La PCU ayant augmenté les revenus de certains aînés, ceux-ci ont pu passer de la catégorie avec ‘SRG partiel <94 %’ à la catégorie ‘sans SRG’ », précise-t-elle. Une personne recevant le ‘SRG partiel’ a une contribution mensuelle maximale de 55 $ alors que la personne ‘sans SRG’ devra débourser 96 $ par mois.
Caroline Dupont explique que si le fédéral « procède à un changement du SRG chez une personne, la RAMQ [Régie de l’assurance maladie du Québec] est informée ». Si la personne a payé des frais qu’elle n’aurait pas dû durant cette période, la RAMQ va la rembourser. Un chèque sera envoyé automatiquement à la personne assurée le cas échéant.
La perte du supplément peut entraîner des effets collatéraux, explique Isabelle Guérard. Cela peut affecter le crédit de solidarité sociale et le remboursement de la TPS, par exemple.
Obligé de retourner au travail
Mme Lochard, qui tenait auparavant un salon de coiffure en Haïti, a finalement repris le travail et a trouvé un emploi dans un centre de vaccination. Lors de notre entretien, elle venait de recevoir son premier chèque de paie. « J’étais vraiment contente aujourd’hui de pouvoir payer un mois de loyer au complet », dit-elle avec soulagement. « C’était beaucoup de stress. Je pensais que j’allais perdre la tête. »
« J’ai besoin de me nourrir, et j’ai besoin d’un toit au-dessus de ma tête, alors je dois travailler », affirme-t-elle. Mme Lochard sait aussi que ce travail est temporaire. Et qu’il risque d’avoir des implications financières. « L’année prochaine, quand je vais faire mes impôts, il y aura l’argent que je fais en ce moment. Qu’est-ce qui va se passer ? Je ne sais pas… » L’inquiétude est palpable dans le silence qui suit.
La coordonnatrice de l’AQDR Sherbrooke rapporte la situation d’un homme de 73 ans, contraint de retourner travailler à temps plein. Sa femme, qui a 71 ans et des difficultés de santé, a elle aussi été obligée de prendre un travail à temps partiel afin de leur permettre de joindre les deux bouts.
« Il y a un cercle vicieux qui s’installe, car ces revenus peuvent faire en sorte qu’ils ne seront pas éligibles au revenu minimum garanti l’année prochaine », dit-elle.
La porte-parole du gouvernement fédéral écrit dans son courriel que « le gouvernement continuera de se pencher sur les façons de limiter les éventuelles réductions ou pertes de prestations du SRG pour les aînés vulnérables qui ont reçu des prestations d’urgence et de relance. »
Pour le projet Genèse, cette attente est inacceptable et l’aide doit être accélérée. De plus, ils demandent à ce que le revenu minimum garanti soit protégé à l’avenir.