En 2022, c’est le temps de définancer la police

Ces quatre dernières semaines, nous avons assisté à un débat de plus en plus déconcertant sur le financement de la police à Montréal. À écouter les grands acteurs du débat, de Projet Montréal au SPVM, il semble qu’aucun d’entre eux n’est prêt à apporter les changements en matière de sécurité publique dont la Ville a besoin, changements réclamés par le mouvement pour le définancement de la police et largement soutenu à Montréal et ailleurs.

Le débat a commencé en décembre, avec le budget proposé par Projet Montréal pour 2022. Ce dernier comprenait une augmentation de 45 millions $ du budget du SPVM. En dollars, il s’agit de la deuxième plus importante augmentation budgétaire de l’histoire du SPVM et de la plus importante augmentation de tous les corps policiers au Canada cette année. Une grande partie de l’augmentation doit servir à l’embauche de 122 nouveaux agents, qui s’ajouteront à ce qui est déjà le plus grand corps de police par habitant parmi les grandes villes canadiennes.

Puis, début janvier, le SPVM a révélé qu’il avait dépassé son budget en 2021 de plus de 50 millions $. Le service a également affirmé que l’augmentation proposée pour 2022 ne lui permettrait d’embaucher que 60 nouveaux policiers (et non 122 comme prévoit Projet Montréal). Il a aussi proposé de fermer des postes de police de quartier (PDQ) pour faire face aux défis budgétaires. La Fraternité des policiers et policières de Montréal a joint sa voix aux SPVM et a affirmé que la Ville devait soit réduire les PDQ, soit embaucher 250 policiers de plus pour s’assurer que les services de police sont bien dotés en personnel.

La proposition du SPVM a alors recentré, peut-être intentionnellement, le débat public actuel pour se concentrer sur les coûts et les avantages des PDQ. Étant donné que de nombreux Montréalais apprécient les PDQ – ce qui est devenu évident lors de la fermeture du PDQ de Notre-Dame-de-Grâce en 2020 – la proposition renforce largement l’argument en faveur d’un financement accru de la police. Depuis la sortie du SPVM, de nombreux conseillers municipaux et commentateurs ont pris la défense des PDQ, affirmant que la fermeture, ne serait-ce que de quelques postes, signifierait la fin des patrouilles à pied, à vélo, des partenariats police-communauté et de la police communautaire en général.

Mais le débat sur les PDQ est incroyablement réducteur. D’abord, on confond les PDQ avec des pratiques policières comme les patrouilles à pied et les partenariats police-communauté. Ces pratiques ont toutes été introduites dans les années 1980, soit plus d’une décennie avant la mise en place des PDQ en 1996 et 1997. De nombreux commentateurs, dont des conseillers municipaux, semblent également croire que les PDQ permettent à la police de nouer des relations avec les organismes communautaires et les résident.es, alors qu’en réalité, ce travail est plutôt confié à quelques policiers spécifiques. Les agents qui assistent aux réunions communautaires et établissent des relations ne sont pas ceux qui émettent des contraventions et procèdent à des arrestations dans la rue. Il peut y avoir de bonnes raisons de préserver les PDQ, mais les relations entre la police et la communauté sont une autre affaire.

Plus grave encore: le débat sur les PDQ exclut des questions plus larges sur les dépenses de la police. Tant que les gens sont occupés à débattre des mérites des PDQ, personne n’est obligé d’expliquer pourquoi le SPVM, déjà plus grand que tout autre corps de police métropolitain, a besoin d’encore plus de personnel ou de financement.  Personne n’est obligé non plus d’expliquer pourquoi la police est la solution idéale pour presque tous les problèmes de sécurité publique de la ville.

Un débat plus large devrait tenir compte des nombreuses propositions convaincantes émanant du mouvement pour le définancement de la police, dont certaines sont déjà mises en œuvre en Amérique du Nord. Pour être clair, définancer la police ne signifie pas forcer la police à faire plus avec moins ou sacrifier la sécurité publique pour mettre fin au profilage racial ou à la violence policière. Cela signifie examiner le travail que nous attendons aujourd’hui de la police, se demander si ce travail doit réellement être fait et, le cas échéant, si la police est la mieux placée pour le faire.

Depuis 2003, par exemple, le SPVM émet des contraventions pour diverses infractions considérées comme des incivilités, telles que dormir sur un banc ou boire de l’alcool en public. Il s’agit d’une politique approuvée par la Ville. Or plus de 40% de ces contraventions sont remises à des personnes en situation d’itinérance, une action qui complique la vie de ces dernières tout en ne contribuant en rien à la sécurité publique. La Ville pourrait facilement annuler les règlements sur les « incivilités » et conseiller à la police de cesser de cibler les itinérants. On pourrait alors réduire le financement de la police proportionnellement à la diminution du travail policier et dépenser l’argent pour des services qui profitent réellement aux itinérants.

Regardons ce qui se fait ailleurs. Des villes comme Seattle ont examiné les appels du 911 pour déterminer si la police est réellement la meilleure réponse. Plus de 50% des appels, a constaté la ville, n’ont rien à voir avec la criminalité et seraient mieux traités par un service civil non policier. Cela est particulièrement vrai pour les appels liés à la santé mentale, où le risque de violence policière est exceptionnellement élevé. Montréal a fait un tout petit pas dans cette direction en 2021, en créant une équipe civile appelée ÉMMIS pour répondre à certaines situations dans l’arrondissement Ville-Marie. Ce modèle, si on se fie à l’expérience de Seattle, pourrait être massivement étendu, avec environ 50 % des appels pris en charge par une équipe comme ÊMMIS.

Alors que les dépenses policières explosent, et que perdurent les problèmes tels que le profilage racial et la violence policière, nous avons besoin d’un débat plus large sur la façon d’assurer la sécurité publique à Montréal. Il est de plus en plus clair que la sécurité publique n’est pas synonyme de police, que la police cause de l’insécurité pour beaucoup de gens et que les villes nord-américaines dépendront inévitablement beaucoup moins de la police à l’avenir. Alors que l’horrible augmentation des dépenses policières de Projet Montréal pour 2022 a été approuvée par la Ville le 20 janvier, la lutte pour les dépenses et la sécurité publique se poursuivra tout au long de l’année. La question est de savoir si Montréal choisira la voie du changement ou du statu quo.

Ted Rutland est professeur à l’Université Concordia. Ses recherches examinent les politiques raciales de la planification urbaine et le maintien de l’ordre dans les villes Canadiennes. Cette chronique est initialement parue sur Ricochet (en anglais).