La climato-résignation de Lagacé
En septembre, Patrick Lagacé publiait une chronique qui m’a bouleversée. Déjà, ce titre : « L’environnement, ce n’est pas important »… Et alors qu’il soulignait l’absurdité de l’argument écologique pour justifier le troisième lien, M. Lagacé écrivait ces mots : « Vous ne lisez pas le cri du cœur d’un chroniqueur climato-anxieux. Je le suis de plus en plus, oui, mais je suis surtout climato-résigné. » Climato-résigné. Ainsi, M. Lagacé s’offre le privilège de saper les bases de l’action climatique, et c’est d’autant plus bouleversant lorsqu’on sait l’importante tribune dont il bénéficie… M. Lagacé, avec tout le respect que j’ai pour votre travail (c’est écrit sincèrement), permettez-moi de vous tirer les oreilles : sur ce coup, vous vous trompez en beauté.
Votre chronique laisse penser que la résignation est une « option ». Dans le milieu environnemental, j’ai déjà entendu qualifier cet état d’âme de « syndrome de l’enfoiré ». Vous écrivez : « je pense que nous sommes cuits ». Non, mais c’est quoi cette attitude? C’est si facile de se résigner, plutôt que de se retrousser les manches. Heureusement que le mouvement pour l’abolition de l’esclave ne s’est pas résigné, ni les féministes, ni la résistance face au nazisme… Notre histoire moderne est façonnée d’exemples d’anti-résignation. Si vous ne vous sentez pas la même force que ces meneurs, tentez au moins de ne pas leur nuire.
Et, au fait, ça mange quoi l’hiver, une telle résignation? On lance un concours de celui qui mangera le plus d’espèces en voie d’extinction? Après tout, autant en profiter, puisque nous sommes tous foutus : un plat de cuisses de rainettes faux-grillon pour vous, Monsieur? Bien sûr que Yves-François Blanchet raconte n’importe quoi en voulant peindre en vert le ridicule projet de troisième lien. Et alors? Avez-vous vu la résistance que cela génère? Même Infoman nous fait rire lorsqu’il offre la parole à des experts qui clament l’absurdité environnementale de ce tunnel. Ce n’est pas cela l’information importante? Le niveau de connaissances générales de la population est tel que, dorénavant, des énormités pareilles, ça ne passe plus. Aurais-je écrit cela il y a cinq ans? Pas sûre.
Votre opinion est blessante, presque insultante, pour tous celles et ceux qui n’ont pas eu le temps de se résigner : l’ampleur de la tâche est effectivement titanesque, alors autant s’y mettre tout de suite. J’ai la chance d’être une témoin habituelle de ces passages à l’action et, depuis 2018, j’ai plus confiance que jamais en notre capacité collective à faire face à cette épreuve. Saviez-vous, M. Lagacé, que les électeurs municipaux, eux, ne se sont pas résignés? Que des gens s’organisent bénévolement pour protéger et restaurer leurs milieux naturels? Qu’ailleurs dans le monde des militants environnementaux paient de leur vie leur combat pour protéger les richesses de notre monde? Que les énergies renouvelables sont plus rentables que jamais? Que des outils internationaux voient le jour, comme les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU qui pourraient, par exemple, priver de financement les entreprises qui n’ont pas un bilan social et environnemental satisfaisant? Parlez-en à l’Université de Sherbrooke qui a adopté ce cadre récemment.
Oui, parlez-en.
C’est peut-être de ça, la source de votre résignation : vous n’observez pas la transition qui s’organise. Une personne que j’estime beaucoup, issue d’un organisme environnemental que j’estime tout autant m’a dit un jour : « On a beau écrire les plus beaux communiqués de presse au monde, s’il n’y a pas un journaliste dans la salle de nouvelles qui comprend son importance, cela ne sert à rien, l’information ne passera pas ».
Je conviens que s’approprier l’action et les solutions climatiques demande du temps, de l’énergie, une bonne compréhension des enjeux et un réseau de ressources qui ne se bâtit pas en un jour : par exemple, de nombreux projets sont encore au stade de projets-pilotes. Mais ce réseau de milliers d’actions au Québec, de milliards à travers le monde, tisse déjà les bases du monde de Demain, qui devra courageusement faire face aux dérèglements climatiques et à la perte de la biodiversité.
On comprend vite, qu’évidemment, la « climato-résignation » n’a aucun sens : il s’agit d’une lutte qui ne s’abandonne pas et qui ne se retarde plus. Dans notre ère de réchauffement climatique, chaque dixième de degré compte. Au milieu de l’effondrement de la biodiversité, chaque individu compte. D’année en année, les impacts deviendront de plus en plus présents dans notre quotidien. Les maisons ravagées par les flammes ou les inondations devront bien être reconstruites : on ne va quand même pas collectivement se résigner à aller mourir dans le bois… Pas vrai, M. Lagacé?
Coralie Beaumont est spécialisée en droit et en environnement. Elle a été journaliste à La Tribune et travaille aujourd’hui au Conseil régional de l’environnement de l’Estrie