Collège Maisonneuve
Nouvelle

Une étudiante exclue de son cours après avoir questionné l’usage du mot en n

Selon l’étudiante, « tout le monde était au courant » du conflit et personne n’est intervenu pour le résoudre convenablement.

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La direction du Collège de Maisonneuve, à Montréal, a exclu une étudiante d’un cours après qu’elle soit notamment intervenue en classe pour suggérer à son enseignante de ne pas prononcer le mot en n. L’exclusion est survenue le 27 octobre, soit un mois et demi après les événements, qui auraient eu lieu le 15 septembre.

Les événements ont d’abord été rapportés dans un communiqué publié par la Société générale des étudiantes et étudiants du Collège de Maisonneuve (SOGEECOM). Pivot s’est aussi entretenu avec l’étudiante visée et a pu consulter certains documents. Malgré nos demandes, le collège n’a pas souhaité infirmer ni confirmer la version des faits présentée ici.

Le mot en n répété 25 fois

Le 15 septembre, lors d’un cours obligatoire, une enseignante aurait d’abord répété une dizaine de fois le mot en n. Elle évoquait la polémique survenue l’an dernier à l’Université d’Ottawa, où une chargée de cours avait été suspendue pour avoir usé de ce mot.

L’une après l’autre, deux étudiantes ont fait part de leur malaise en levant la main. La première, Laeticia*, une étudiante noire, aurait expliqué que l’usage répété du mot en n lui semblait inapproprié et qu’il la blessait. Devant le refus de l’enseignante d’éviter le terme, une étudiante blanche, Jeanne*, lui aurait demandé pourquoi elle n’utilisait pas « un diminutif ».

« Je ne voulais aucunement provoquer, j’avais un ton de questionnement », raconte Jeanne en entrevue avec Pivot.

L’enseignante aurait refusé et, dans les minutes suivantes, elle aurait continué à défendre son droit à utiliser le mot en n. Elle l’aurait encore répété environ quinze fois, d’un ton « provocateur », selon Jeanne.

Jeanne explique avoir levé une seconde fois la main. L’enseignante l’aurait alors pointée du doigt et lui aurait dit : « Toi, ça ne sert à rien de lever la main, je ne t’écouterai pas. » D’après Jeanne, une vague de choc a alors traversé la classe et plusieurs collègues de classe se sont tourné.es vers elle, les yeux ronds, ébahi.es du traitement qui lui était réservé.

« Je me suis sentie attaquée, je ne me suis pas sentie comme si ma parole pouvait avoir une valeur en classe », témoigne-t-elle.

L’enseignante aurait suggéré aux étudiantes en désaccord avec elle de quitter la classe. C’est ce que Laeticia et Jeanne ont fait.

Refus et menaces de la part du collège

Le même jour, l’enseignante a écrit un courriel à toute la classe dans lequel elle affirmait envisager « l’exclusion de certains éléments perturbateurs de [s]on cours ». Pivot a pu consulter ce courriel.

Jeanne a alors rapporté les faits à la coordonnatrice du département. L’étudiante rapporte que la coordonnatrice n’a pris aucune note et interrompait son témoignage pour défendre l’enseignante.

Plus tard, deux étudiantes ont reçu de leur aide pédagogique individuelle (API) des courriels concernant les événements du matin. Il s’agit de Jeanne et de Laurie-Ève*. Cette dernière n’était pas intervenue en classe, mais il semblerait que l’enseignante l’ait confondue avec Laeticia. Toutes les deux ont la peau noire.

Pivot a pu consulter ces courriels. L’API de Jeanne l’invitait à discuter. Mais celle de Laurie-Ève laissait entendre qu’elle a eu un « comportement agressif » et d’avoir fait de l’« intimidation ». Elle mentionnait aussi que si la situation se répétait, l’enseignante pourrait faire intervenir la direction, voire le Service de sécurité du collège.

Vu la confusion, Laeticia n’aurait pas eu à faire face à d’autres démarches. Elle a toutefois confié à La Presse qu’elle ne se sentait « plus à l’aise » d’aller en classe. La relation entre Laurie-Ève et l’enseignante serait restée tendue.

Toujours le 15 septembre, Jeanne a contacté le service de conciliation du collège pour entamer une résolution de conflit.

« J’apprécierais avoir un dialogue avec [l’]enseignante le plus tôt possible », a-t-elle écrit dans un courriel consulté par Pivot.

En parallèle, Jeanne explique avoir collaboré avec la SOGEECOM, son association étudiante, pour se préparer à se défendre contre une éventuelle expulsion. La longueur de ces préparatifs aurait contribué à repousser la première rencontre entre la conciliatrice, Jeanne et Laurie-Ève, finalement fixée au 14 octobre.

Exclusion

Le 9 octobre, un message envoyé par Jeanne à l’administrateur d’une page Facebook a été publié anonymement, mais sans son approbation, sur la page en question. Dans le message, consulté par Pivot, Jeanne rapportait l’affaire et écrivait que l’enseignante avait « fait preuve de racisme » et qu’elle « s’acharn[ait] sur les élèves » prenant la parole. Dès le 10 octobre, Jeanne a découvert la publication et l’a immédiatement fait supprimer.

Le 13 octobre, la directrice adjointe des études du Collège de Maisonneuve a convoqué Jeanne à une rencontre le lendemain. Jeanne a donc dû repousser le rendez-vous avec la conciliatrice, qui tombait au même moment.

Lors de la rencontre, la directrice adjointe aurait informé Jeanne que l’enseignante avait vu la publication Facebook et qu’elle exigeait que Jeanne (qui n’était pas identifiée dans la publication) soit expulsée de son cours. L’enseignante jugeait qu’elle ne pouvait plus donner son cours confortablement en présence de Jeanne, l’accusant notamment de l’intimider en classe.

Jeanne rapporte que la directrice adjointe lui a toutefois garanti qu’elle ne serait pas expulsée, et qu’elle l’a incitée à poursuivre les démarches de conciliation.

Dans ce genre de conflit avec une enseignante, le Collège de Maisonneuve offre deux options aux étudiantes : déposer une plainte officielle, ou alors consulter un agent de conciliation « dont le rôle est de faciliter le dialogue entre les parties et la résolution à l’amiable du problème qui leur est soumis ». Selon Jeanne, la directrice adjointe lui a toutefois déclaré que si elle recevait une plainte officielle de sa part, elle la redirigerait vers la conciliation.

Finalement, le 27 octobre, la directrice adjointe convoque encore Jeanne. Cette fois, elle lui annonce qu’elle sera bel et bien exclue de la classe, à la demande de l’enseignante. Elle pourra demeurer inscrite et continuer d’assister aux séances données par une autre enseignante, soit un cours sur deux. Elle pourra consulter le matériel pédagogique disponible en ligne.

Inaction et partialité

« C’est complètement contradictoire » de la part de l’administration de l’avoir renvoyée vers le service de conciliation, mais d’être intervenue directement pour défendre l’enseignante, estime Jeanne. Elle déplore aussi que l’enseignante n’ait jamais été vers la conciliation et que l’administration de l’ait pas incitée à le faire.

L’enseignante, la coordonnatrice du département, le service d’aide pédagogique, la direction des études : « tout le monde était au courant » du conflit et personne n’est intervenu pour le résoudre convenablement, critique Jeanne.

« Il y a tellement de choses qui auraient pu être faites », regrette-t-elle.

Elle énumère : l’enseignante et les API auraient pu simplement s’excuser pour leurs propos et leurs menaces, la coordinatrice aurait pu l’écouter et la prendre au sérieux, la direction aurait pu respecter sa propre parole.

Contacté par Pivot pour commenter la situation, le Collège de Maisonneuve s’est contenté de rappeler par courriel que l’établissement disposait d’un guide sur La liberté d’expression dans un cadre pédagogique respectueux.

Ce guide établit que les membres du personnel enseignant « peuvent aborder des questions sensibles et avoir recours à des sources qui présentent des imperfections à nos yeux d’aujourd’hui ». De même, il établit clairement que les étudiants et les étudiantes « dispose[nt] aussi de cette liberté d’expression et p[euvent] faire part de [leur] malaise à l’égard d’un contenu de cours, à condition toutefois de respecter ce principe : en cas d’inconfort en situation d’apprentissage, le dialogue – et non les interdits – doit toujours primer. »

Le Collège affirme s’en être tenu à ces lignes directrices et avoir cherché à « instaurer ce dialogue ». Il dit aussi avoir tranché dans le but de « préserver un climat propice » en classe.

La SOGEECOM juge que l’établissement a fait un usage partial de la liberté d’expression en la reconnaissant à l’enseignante, mais pas à l’étudiante. « Il y a quelque chose de contradictoire dans la manière dont cette notion de « liberté d’expression » a été utilisée par la professeure et l’administration du Collège afin de faire taire une étudiante », peut-on lire dans le communiqué.

* Noms fictifs

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