Une vague de grèves agite les États-Unis depuis quelques semaines. Plus de 115 000 personnes ont été en débrayage ou se sont dotées d’un mandat de grève au cours du dernier mois, montre un nouveau billet diffusé par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
Le plus important conflit en cours est celui qui oppose 10 000 travailleurs et travailleuses au fabricant de machinerie agricole John Deere depuis la mi-octobre. Les patrons ont cherché à imposer des salaires croissant moins vite que l’inflation. Ils ont aussi voulu réduire les avantages sociaux pour les futures embauches. Le 2 novembre, les grévistes ont rejeté une seconde offre patronale, même si celle-ci était recommandée par leur syndicat.
Parmi les grèves notables, on compte aussi celle des 1400 employé.es de Kellogg’s, en cours depuis le début d’octobre. Les grévistes cherchent aussi à contrer des réductions de salaires et d’avantages sociaux pour les nouvelles embauches, en plus de protester contre l’obligation des heures supplémentaires. Dans certains cas, on leur impose des journées de plus de douze heures et des semaines de sept jours.
Plus de 30 000 travailleur.ses du réseau de santé privé Kaiser, l’un des plus importants joueurs du secteur aux États-Unis, ont annoncé une grève pour le 15 novembre : elle toucherait des centaines de points de service à travers le pays. Le personnel de Kaiser s’oppose lui aussi à des baisses de salaire.
Au total, 57 grèves ont été tenues aux États-Unis en octobre, et 270 depuis le début de l’année, selon la recension effectuée par l’École de relations industrielles de l’Université Cornell. Les débrayages et menaces de débrayage touchent des secteurs aussi diversifiés que l’industrie minière et la métallurgie, les transports publics, ou encore les télécommunications et le cinéma.
Une nouvelle vague de combativité?
Cette effervescence est en continuité avec le regain des conflits de travail observé aux États-Unis depuis 2018, explique en entrevue Xavier Lafrance, auteur du billet de l’IRIS et professeur de science politique à l’UQAM. Le phénomène contraste avec le « fond du baril » atteint durant les années 2010, alors que les débrayages connaissaient un creux historique.
« On était tellement dans un creux de vague, à l’époque, que toute vaguelette se fait sentir aujourd’hui. »
Les grèves actuelles se caractérisent aussi par une plus grande combativité, note le chercheur. « On remarque une rupture dans le ton et aussi un refus des concessions » que les organisations syndicales, elles, avaient tendance à laisser passer, souligne Xavier Lafrance.
« On peut espérer que ce soit le début d’un renouveau qui dure et qui s’amplifie. »
La dégradation continuelle des conditions de travail dure depuis une quarantaine d’années, explique encore l’analyste. Mais l’actuelle pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs offre aux travailleurs et aux travailleuses une chance d’affronter leurs patrons en risquant un peu moins gros.
« Les employeurs ne peuvent plus dire aussi facilement : “toi tu te la fermes, sinon je vais aller chercher quelqu’un d’autre pour faire ta job”. »
Cette pénurie s’explique d’ailleurs par le fait que bien des Américains et Américaines « n’acceptent plus de travailler dans des conditions indécentes », selon Xavier Lafrance. Il estime que l’aide gouvernementale offerte par le gouvernement durant la pandémie a permis à certaines personnes de se retirer momentanément du marché du travail, dans l’espoir de trouver éventuellement un meilleur emploi. « Mais c’est temporaire, on verra comment ça évolue », conclut le professeur.