Depuis un an, la Commission de la construction du Québec (CCQ) a tenté à deux reprises d’écarter de son conseil d’administration Éric Boisjoly et Michel Trépanier, respectivement directeur général de la FTQ-Construction et président du Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (mieux connu comme l’Inter). C’est ce qu’on apprend dans une récente décision de la Cour supérieure du Québec.
La CCQ est l’organisme parapublic responsable de faire respecter la loi sur les relations de travail et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction. Son conseil d’administration est paritaire : il doit compter en tout temps un.e représentant.e pour chacune des cinq grandes associations syndicales, en plus de représentant.es indépendant.es et issus des associations patronales. Ces administrateurs et administratrices sont nommé.es par le Secrétariat aux emplois supérieurs (SES) du gouvernement du Québec.
À l’automne 2020, la CCQ a d’abord demandé au Secrétariat de destituer Éric Boisjoly et Michel Trépanier et de nommer d’autres personnes pour représenter la FTQ-Construction et l’Inter. La CCQ alléguait que les deux hommes étaient en situation de conflit d’intérêts. C’est que les syndicats qu’ils dirigent poursuivent la Commission dans différents dossiers, contestant notamment ses décisions concernant les régimes de retraite.
Le SES a refusé la demande de la CCQ, jugeant que la situation ne justifiait pas de mesures disciplinaires.
« Une demande d’expulsion déguisée »
En septembre dernier, la CCQ a récidivé et a déposé une demande d’injonction provisoire à la Cour supérieure. La CCQ exigeait cette fois qu’Éric Boisjoly et Michel Trépanier ne puissent plus assister au conseil d’administration ni recevoir les informations auxquelles les administrateurs ont normalement droit. Le juge Bernard Synnott a rejeté la demande, affirmant qu’il s’agissait « ni plus ni moins d’une demande d’expulsion déguisée » visant à contourner la décision du SES.
Dans sa décision, le juge Synnott rappelle que l’expulsion d’un membre d’un conseil d’administration exigeait qu’il ait commis des gestes « exceptionnellement graves ». Le juge explique que les conflits juridiques entre les syndicats et la CCQ n’empêchent pas les dirigeants syndicaux de faire leur travail au sein de la Commission de la construction. « Un simple conflit d’intérêts ne constitue pas en soi un motif d’expulsion d’un membre », écrit-il.
Importance des points de vues divergents
Le juge Synnott estime aussi exagéré d’empêcher Éric Boisjoly et Michel Trépanier de participer à toutes les activités du conseil de la CCQ, alors que le conflit juridique entre les syndicats et la Commission de la construction ne touche que quelques enjeux précis. « La demande est trop large » et porterait atteinte aux droits des deux représentants syndicaux, écrit le juge.
« Les défendeurs […] seraient privés par leur expulsion de toute forme de présence au sein du Conseil d’administration et ce, même pour des sujets non liés au conflit d’intérêts allégué. Cela est contraire à l’état du droit. »
Le juge Bernard Synnott, dans sa décision
Le juge Synnott rappelle que tous les points de vue sur le milieu de la construction doivent pouvoir se faire entendre au sein de la Commission. Il explique que le débat et le conflit sont une chose normale au conseil d’administration de la CCQ, puisque l’organisme réunit des membres aux intérêts divergents.