« On est en train de perdre le territoire » : la relève autochtone à la défense de la forêt boréale

Un réseau de jeunes autochtones se mobilise pour protéger la forêt boréale du Québec.

Le programme des « ambassadeur·ices de la forêt boréale » regroupe de jeunes autochtones qui défendent leur territoire ancestral. Pivot s’est entretenu avec elleux afin de connaître les défis et les inquiétudes qui alimentent leurs luttes pour leurs territoires et leurs droits ancestraux.

« Combien de fois êtes-vous allés à un événement où il y a autant d’Innu·es à Montréal? » C’est la question rhétorique que pose Samuel Rainville à l’auditoire rassemblé devant lui à la Maison de l’arbre, jeudi soir.

Il est l’un des jeunes autochtones, dont plusieurs Innu·es, du programme d’« ambassadeur.ices de la forêt boréale », une initiative chapeautée par la Fondation David Suzuki, sous le mentorat de Melissa Mollen Dupuis. Ce projet rassemble de jeunes autochtones, demeurant souvent en ville, pour les accompagner dans la redécouverte et la défense de leur territoire : la forêt boréale.

À travers le programme, des jeunes sont amené·es à s’y rendre, parfois pour la toute première fois, afin de constater les enjeux qui s’y multiplient et de nouer des liens avec les différentes communautés qui y résident. 

Un constat clair est au cœur de tout cela : la survie du territoire passe inévitablement par la survie de la culture et des droits autochtones.

La forêt boréale

À elle seule, cette forêt représente près de 60 % du territoire canadien et abrite plus de 500 espèces animales. C’est également cette forêt qui, grâce à ses tourbières, absorbe une quantité importante des gaz à effet de serre que nous produisons.

Mais lorsqu’elle brûle, comme ça a été le cas l’été dernier au Québec, et comme cela arrive de plus en plus fréquemment depuis les deux dernières décennies, elle dégage aussi entre 10 et 20 fois plus de gaz à effet de serre comparativement à d’autres écosystèmes. Selon de nouvelles données, près de 18 millions d’hectares de forêt au Canada ont été la proie des flammes en 2023, dont la majorité s’étale sur le territoire de la forêt boréale.

Nouveau contrat social

Le programme des ambassadeur·ices de la forêt boréale découle en quelque sorte de la grande marche pour le climat de Montréal, en 2019, durant laquelle 30 jeunes autochtones et allochtones ont porté la bannière aux côtés de Greta Thunberg. C’est là que des liens se sont créés entre des jeunes qui partageaient un objectif, mais également un vécu commun.

Mais une fois la marche terminée, il était primordial pour l’instigatrice du programme, Melissa Mollen Dupuis, de faire continuer le party – et pas simplement la mobilisation – social.

« Après la marche, quand il y a le silence, quand on se sépare, qu’est-ce qu’il reste? », demande l’auteure, réalisatrice et animatrice innue.

« Si on ne mange pas ensemble, si on ne boit pas encore, si on ne danse pas ensemble, comment est-ce qu’on peut espérer trouver des solutions? On ne peut pas retourner dans nos appartements et espérer que ça va changer. »

L’idée était de créer une communauté, de nouer des liens durables entre ces jeunes qui sont éparpillé·es un peu partout au Québec, sur leur territoire ou en milieu urbain.

La tâche n’est pas mince, mais elle est aussi nécessaire, pense Melissa Mollen-Dupuis, afin de recréer un « réseau de transmission des connaissances » qui existait entre les différentes communautés autochtones avant la colonisation, avant les pensionnats et les réserves comme outils d’isolement, d’assimilation et de génocide culturel.

« Faut comprendre que pour nous, ça fait 500 ans que l’apocalypse a commencé, ce n’est pas nouveau », explique-t-elle.

La solution, « c’est vraiment de créer une solidarité sociale, c’est de dire qu’on rebâtit le contrat social que les communautés autochtones avaient, que les aîné·es vont être protégé·es, que les jeunes vont être écouté·es et qu’on va faire ce portage-là ensemble. »

Lutte urbaine

« Le Nitassinan entier [territoire innu], c’est une préoccupation pour moi », explique Yasmine Fontaine, une jeune ambassadrice innue de la communauté de Mani-utenam. « Il y a beaucoup d’extractivisme, il y a des barrages hydroélectriques, il y a des mines, de la déforestation, des feux de forêt. »

« Il y a beaucoup de choses qui se passent qui m’inquiètent beaucoup pour l’avenir de ma culture, de mon identité – parce qu’en tant qu’Innu·es, notre culture est liée au territoire. Si on n’a pas de territoire, je n’ai pas d’avenir pour ma culture. »

C’est avec pour mission de mieux protéger ce territoire que la jeune femme a entrepris des études en anthropologie et en géographie à l’Université Laval, à Québec.

Mais la quête d’une éducation supérieure est également synonyme de solitude et d’éloignement du territoire pour plusieurs jeunes autochtones, explique-t-elle. « Faut que tu quittes ta communauté, tu quittes ta culture, tu quittes ton milieu », raconte Yasmine Fontaine. « Tu te sens vraiment seule face à tous les enjeux que tu rencontres, face aussi aux changements climatiques, face à la perte de ton identité et de ta langue. »

« Il y a beaucoup de choses qui se passent qui m’inquiètent beaucoup pour l’avenir de ma culture, de mon identité – parce qu’en tant qu’Innu·es, notre culture est liée au territoire. Si on n’a pas de territoire, je n’ai pas d’avenir pour ma culture. »

Yasmine Fontaine

Pour elle, c’est en s’impliquant dans des événements comme la grande marche pour le climat, en 2019, qu’elle a compris qu’il était possible de protéger le territoire, même à distance. « C’est là que ça a commencé, mon éveil par rapport à l’implication des jeunes en milieu urbain », raconte-t-elle. « C’est là que j’ai réalisé : OK, il y a des jeunes qui sont là et qui veulent protéger le territoire, même si on habite en milieu urbain. »

Yasmine Fontaine travaille actuellement comme coordonnatrice d’un programme de gardien·nes du territoire à l’Université Laval, qui permet de former plus de jeunes à mieux protéger leurs communautés et la forêt boréale.

Une histoire de caribou

Si Johnny Boivin a grandi à Montréal, son implication dans la protection de ses territoires et de ses droits ancestraux s’est multipliée au cours des dernières années. Le jeune atikamekw et innu travaille actuellement auprès du Réseau autochtone de Montréal et fait également partie du programme de gardien·nes du territoire de l’Université Laval.

Quand on lui demande ce qui l’inquiète le plus, sa réponse est équivoque : le sort du caribou. 

« Pour nous les Innu·es, le caribou, c’est notre animal. Si le caribou n’existe plus, on n’existe plus », explique-t-il. « C’est l’animal qui est vraiment au cœur de notre communauté, de notre nation, de notre histoire. »

Cela fait depuis 2003 que le caribou boréal est inscrit à la liste des espèces menacées. La destruction de son habitat par le biais d’activités humaines, notamment la déforestation, est en cause.

Selon Johnny Boivin, les données du gouvernement sur la question ne sont pas représentatives de la situation sur le terrain, telle qu’elle est constatée par les différentes communautés innues.

« Pour nous les Innu·es, le caribou, c’est notre animal. Si le caribou n’existe plus, on n’existe plus. »

Johnny Boivin

« Nous, on connaît le territoire, on est sur le territoire depuis tellement longtemps qu’on est capable de savoir ce qui a changé. Mais ce n’est pas répertorié de la même façon [par les gouvernements]. »

« Il y a un gros manque […] de transparence sur comment les recensements sont faits, comment les actions concrètes de conservation sont faites. »

Il s’inquiète aussi de voir comment l’empreinte humaine, qu’elle prenne la forme de nouveaux barrages, des coupes à blanc, des activités minières, a un impact parfois mal anticipé sur la faune et la flore. « Il y a tellement de petites actions qui ont une très grosse répercussion sur l’environnement. À la fin, ça fait en sorte que le territoire est en train de se désintégrer. »

« On est en train de le perdre, le territoire. »

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