Dimanche, au centre-ville de Montréal, des organismes communautaires ont rapporté neuf cas de surdoses. Un drame qui aurait pu être évité et qui illustre comment les communautés autochtones sont laissées pour compte dans la rue.
Dimanche après-midi, Sarah Tautungie Papialuk quittait le refuge de Projets autochtones du Québec (PAQ), coin de la Gauchetière et de Bullion, dans le centre-ville de Montréal afin d’aller voir un groupe de cinq ami·es qui se trouvaient non loin de là, sur la rue Saint-Dominique.
« Je connais tout le monde et je veux m’assurer que tout le monde va bien », explique la femme Inuk de 30 ans en entrevue exclusive avec Pivot.
Mais arrivée sur place, il est clair que ça ne va pas. Ses ami·es ont le visage bleu. Ils et elles sont léthargiques. Prise de panique, elle fait demi-tour pour alerter les intervenant·es du refuge.
« On a besoin d’une ambulance », lance-t-elle. Grâce à la répartie Sarah Papialuk, de la naloxone – un médicament permettant de renverser temporairement les effets des surdoses d’opioïdes et d’ainsi sauver la vie – a pu être administrée rapidement.
Ce jour-là, en moins de deux heures, un total de neuf personnes ont subi une surdose. Six d’entre elles, dont les ami·es de Sarah, ont été par la suite transportées à l’hôpital. Une femme de 42 ans a depuis perdu la vie. La Santé publique de Montréal a ouvert une enquête pour déterminer la cause des surdoses.
« Où étaient les agents de proximité censés veiller sur la communauté? », demande Sarah Papialuk. « Je ne comprends pas. »
« C’était traumatisant, ce que j’ai vu. J’espère que ça ne se passera plus jamais, surtout dans les communautés autochtones. Ce n’est pas juste. »
Sarah Tautungie Papialuk
« Ce sont souvent les femmes autochtones qui veillent et qui prennent soin les unes sur les autres dans la rue », résume Laura Aguiar, coordonnatrice d’Iskweu, un projet lancé par le Refuge pour femmes autochtones de Montréal et qui vient en aide aux familles des femmes et des filles de la communauté qui manquent à l’appel.
Elle déplore le manque de ressources adaptées en aide aux personnes autochtones qui font face à des enjeux de consommation. « Lorsque les gens sont privés des services et laissés pour compte dans la rue, les personnes qui leur viennent en aide, ce sont des personnes comme Sarah. »
Tragédie évitable
« On peut prévenir tous les décès liés aux surdoses », rappelle Laura Aguiar. Mais « le gouvernement continue de criminaliser les personnes qui consomment de la drogue et de considérer leurs vies comme moins importantes », déplore-t-elle.
Plusieurs organisations communautaires à Montréal demandent depuis longtemps à la municipalité d’en faire davantage pour décriminaliser les drogues, ce qui permettrait aux intervenant·es de mieux assurer la sécurité des personnes qui les utilisent, en misant sur l’accompagnement plutôt que la punition.
Au Canada, la possession de drogues est interdite en vertu du Code criminel. En janvier dernier, la Colombie-Britannique a cependant obtenu du fédéral une exemption pour décriminaliser la possession de drogue en petite quantité sur son territoire, afin de faciliter l’accès aux services de prévention et de santé.
Au Québec, le premier ministre avait annoncé qu’il n’emboiterait pas le pas à la province de l’Ouest, mais la Ville de Montréal a pour sa part récemment réitéré sa volonté de décriminaliser la possession simple dans la métropole.
« Lorsque les gens sont privés des services et laissés pour compte dans la rue, les personnes qui leur viennent en aide, ce sont des personnes comme Sarah. »
Laura Aguiar, Iskweu
Alors qu’on investit fortement dans la police, les services communautaires essentiels, eux, ne sont pas financés, dénonce aussi Laura Aguiar. « On vit dans une ville qui a l’un des plus gros budgets de police au Canada », explique-t-elle. Or, « c’est la police qui fait du profilage, souvent contre les femmes autochtones, et qui les criminalise ».
Iskweu encourage par ailleurs tous·tes les citoyen·nes à se procurer des trousses de naloxone qui sont disponibles gratuitement en pharmacie. Une formation sur leur utilisation peut également y être offerte.
Traumatismes programmés
Sarah Papialuk confie qu’elle a eu de la difficulté à dormir et à se nourrir au cours des jours qui ont suivi l’événement.
« C’était traumatisant, ce que j’ai vu », souffle-t-elle en se rappelant la scène. « J’espère que ça ne se passera plus jamais, surtout dans les communautés autochtones. »
« Ce n’est pas juste. »
« On vit dans une ville qui est située sur un territoire volé, qui n’a jamais été cédé, où les personnes autochtones meurent et sont contraintes de se soutenir mutuellement, souvent avec des moyens très limités », explique Laura Aguiar. « Elles sont souvent privées de ressources, ou n’obtiennent pas des services adaptés à leurs besoins et sont laissées à la rue. »
Pendant ce temps, ce sont des gens de la communauté comme Sarah Papialuk qui sont aux premières lignes et qui compensent pour ce manque de soutien, non sans payer le prix des traumatismes, explique Laura Aguiar.
« C’est absurde. »