Crise de la masculinité : parlons de l’influence de la fiction

Se peut-il que les hommes ressentent une crise à cause du contraste entre un imaginaire culturel patriarcal et une vie réelle ou les femmes revendiquent leur place?

Parue la fin de semaine dernière et revenant sur le documentaire Garçons, un film de genre (Manuel Foglia), une chronique de Patrick Lagacé déplore la socialisation de nos ados. Selon le chroniqueur de La Presse, les garçons iraient très mal en raison d’une éducation leur enseignant trop peu l’expression des émotions.

Patrick Lagacé évoque un problème de socialisation, et je me permets de pousser un peu plus loin l’hypothèse. Je pense que nous entretenons un angle mort important : celui de la fiction consommée par les jeunes dès la petite enfance.

Se pourrait-il que bien des hommes ressentent une situation de crise, un déséquilibre émotionnel en partie en raison du contraste drastique entre, d’un côté, l’imaginaire culturel binaire et patriarcal, et, de l’autre, la vie réelle où les femmes et plusieurs groupes sociaux revendiquent leur place et ce faisant, une transformation des codes?

Parler « plus » ou écouter mieux?

Lagacé écrit : « Parler, nommer : c’est important pour ne pas devenir complètement fou, pour ne pas étouffer sous la tristesse, la douleur, les tourments de l’âme. Qu’on soit un homme ou une femme. Mais les femmes parlent, nomment plus […] c’est dur pour les gars de parler, de nommer. »

Ce n’est pas faux, mais il me semble que pour élargir le nuancier émotionnel des garçons, il faudrait déjà commencer par cultiver et encourager leur empathie afin de parfaire l’ensemble de leurs aptitudes communicationnelles : les garçons doivent apprendre dès leur jeune âge à s’exprimer, certes, mais aussi à écouter, à accepter de faire de la place à l’autre dans le dialogue.

Ils n’en sauront que mieux comment être écoutés en retour.

Les garçons doivent apprendre dès leur jeune âge à s’exprimer, certes, mais aussi à écouter.

Les filles sont peut-être socialisées de manière à parler de leurs sentiments, mais la prise de parole des femmes n’est pas pour autant valorisée et écoutée, une dévalorisation à laquelle contribue la fiction. Sur nos écrans, les femmes ne parlent pas davantage que les hommes, c’est plutôt le contraire : les lignes de dialogue qui sont réparties entre les quelques personnages féminins sont nettement inférieures à celles des héros.

Et la sentimentalité qu’on attribue au féminin est souvent tournée en dérision : le genre des comédies sentimentales n’est-il pas toujours considéré comme mineur, comme un plaisir coupable presque inavouable?

N’y a-t-il pas un paradoxe entre le fait de demander à nos ados de s’ouvrir sur leurs angoisses et de respecter les filles qui les entourent, tout en les nourrissant dès l’enfance de films et de bandes dessinées où les héros soliloquent pour affirmer leur intelligence et leur puissance, où les filles ne sont souvent là que pour être regardées, où les personnages masculins règnent en rois et maîtres sur les sphères de pouvoir – au point où même les figurants sont en majorité des hommes?

La sentimentalité qu’on attribue au féminin est souvent tournée en dérision.

Je trouve illogique notre étonnement que les garçons et les hommes n’acceptent pas la parole, les critiques et les refus des femmes, tandis que dans la majorité de notre univers fictionnel, les femmes n’ont pas voix au chapitre. Et comment espérer qu’ils s’ouvrent si on leur donne encore si souvent à voir des modèles de masculinité qui se dégoûtent de l’expression des sentiments et qui s’enferment dans une virilité rigide?

Deux poids, deux mesures

D’autre part, il existe un alarmant double standard concernant notre perception des modèles destinés aux filles et ceux destinés aux garçons. Les films du box-office de l’été 2023 le démontrent à merveille.

Avec le remake de La petite sirène, nous avons passé le mois de juin à nous demander s’il ne faudrait pas bannir les princesses de Disney qui représenteraient des modèles sexistes et désuets, sans voir comment certaines défient plusieurs stéréotypes de leur époque de création et peuvent incarner des modèles de détermination et de résilience.

Depuis juillet, la jeune sirène a pu prendre un break médiatique, puisque c’est désormais le film Barbie qui défraie sans cesse la chronique. La question brûlant toutes les lèvres : le film est-il vraiment féministe (existerait-il un « vrai », un « pur » féminisme? On ne m’a pas mise au courant…)? On reproche aussi abondamment à Mattel de profiter du succès de la poupée blonde pour augmenter son chiffre d’affaires sur le dos des filles et des causes féministes.

C’est comme si les objets culturels reliés à la féminité étaient à la fois les véritables responsables du patriarcat et, en même temps, les seuls garants de son enrayement.

En parallèle, le même jugement critique n’est pas appliqué aux œuvres destinées aux garçons : peu de gens semblent déplorer les ventes de jouets probablement engendrées par le nouveau Ninja Turtles, ni interroger les modèles de corps masculins musclés et découpés glorifiés par les films de superhéros. Le tout récent Indiana Jones ne passe pas le test de Bechdel (il contient un total de trois personnages féminins, dont l’une meurt et l’autre est l’amoureuse du héros).

Pourtant, on n’entend pas grand-chose dans les médias ou dans les discussions sociales sur l’impact des représentations des rapports hommes-femmes dans ce genre de films.

La critique prend souvent pour point de mire les objets culturels reliés à la féminité comme s’ils étaient à la fois les véritables responsables du patriarcat et, en même temps, les seuls garants de son enrayement.

Le film Barbie dérange parce qu’il est rose et ouvertement politique. Mais le cinéma, peu importe les genres cinématographiques, est toujours politique. Autant quand on s’assoit dans une salle pour voir un Marvel qu’un film de Greta Gerwig.

Pour améliorer le bien-être de nos ados, gars et filles, il importe de se questionner bien plus tôt dans leur parcours de vie sur les représentations dont on les nourrit, puisque celles-ci ont des impacts concrets sur les jeunes publics et sur leur manière de se définir.

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