Nous continuons de jouer les pompiers pyromanes et ce sont les populations civiles qui en sont les grands brûlés.
On compte déjà sept coups d’État en Afrique depuis le début des années 2020. Celui de cette semaine au Gabon et celui de la fin juillet au Niger ne sont donc que les derniers en date d’une longue série. Un peu de recul s’impose.
Depuis une douzaine d’années, les forces armées spéciales canadiennes participent à l’exercice multinational Flintlock sous les auspices du commandement militaire américain en Afrique, l’AFRICOM.
L’objectif? Former et entrainer des unités locales pour lutter contre la menace que font planer les groupes jihadistes qui pullulent dans les déserts du Sahara et du Sahel depuis le début des années 2010.
Des unités conventionnelles de l’armée canadienne ont également formé des militaires nigériens dans le cadre de l’opération NABERIUS, elle-même chapeautée par le Programme d’aide au renforcement des capacités antiterroristes (PARCA) d’Affaires mondiales Canada.
Ces opérations s’étendent au-delà des seules régions du Sahel et du Sahara. Dans son plan ministériel pour 2023-2024, Affaires mondiales Canada mentionne également le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Irak.
Qu’ont en commun tous ces pays? Ils sont soit limitrophes, soit des théâtres d’opérations occidentales passées, auxquelles on peut ajouter l’Afghanistan, le Mali et la Libye.
En 2012, un coup d’État a été mené au Mali par des membres d’une unité de parachutistes de l’armée malienne, dont certains furent formés par les forces spéciales canadiennes. Et en 2020, année du plus récent coup d’État dans le même pays, le colonel Assimi Goita, à la tête du putsch, ainsi que nombre de ses soldats avaient reçu un entrainement dans le cadre de Flintlock.
À quel point nos taxes ont-elles financé ces coups d’État?
Au Niger, en juillet dernier, au moins cinq membres du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, qui ont évincé le président Mohamed Bazoum, ont été entrainés par les forces spéciales américaines. Un des dirigeants du putsch, le général Mohamed Toumba, a même livré un discours lors de la cérémonie d’ouverture de Flintock 2018, selon une enquête du média américain The Intercept.
Le Canada a-t-il activement participé à ces formations? Dans une certaine mesure, oui, d’autant que le principe d’inter-opérabilité entre les armées américaine et canadienne mène à des jumelages entre les deux.
Ça n’a pas empêché les responsables militaires et civils canadiens de déclarer au journaliste David Pugliese du Ottawa Citizen en 2020 que la portion nigérienne du programme se poursuivrait.
Cela soulève la question : à quel point nos taxes ont-elles financé ces coups d’État?
Retour de flamme
C’est là une énième incarnation du principe du retour de flamme, traduction directe du terme anglais « blowback », qui décrit un revirement soi-disant inattendu d’une opération contre ceux qui l’ont mené.
Des exemples historiques? L’émergence des Talibans en Afghanistan après que les Américains aient soutenu les insurgés contre l’occupation soviétique du pays. La naissance et la croissance exponentielle de Daech, conséquence directe de l’invasion de l’Irak en 2003. Le chaos actuel en Libye, après le renversement de Kadhafi par les forces de l’OTAN, alors que de nombreuses milices rebelles armées et financées par l’OTAN étaient liées à al-Qaïda.
Encore les Américains, direz-vous. Mais depuis une trentaine d’années, le Canada a dévoilé ouvertement ses vraies couleurs et participe maintenant activement au saccage de l’Afrique et au pillage de ses richesses.
C’est le cas notamment via la compagnie Global Atomic, actionnaire à 80 % de la minière Somida, active au Niger dans l’exploitation de l’uranium, entre autres exemples.
En 2013, en plein chaos au Mali, de nombreuses minières canadiennes se sont lancées dans l’exploration de ressources minières dans le pays, principalement l’or. Coïncidemment (ou non), on y déployait un soutien aérien à l’Opération SERVAL de l’armée française au Mali, en plus de détacher des forces spéciales.
Le Canada participe maintenant activement au saccage de l’Afrique et au pillage de ses richesses.
Tout ça avec la complicité des gouvernements locaux où siègent des loyalistes des anciennes colonies.
Et voilà que depuis 2020, des unités militaires renversent ces gouvernements.
On nous dira que ce pillage n’en était pas un, qu’il s’agissait d’accords de gré à gré entre des compagnies transnationales et des gouvernements « démocratiquement élus ». Or, un gouvernement mené au pouvoir par un suffrage peut très bien agir contre les intérêts de son peuple. En quoi cela est-il « démocratique »?
Et quand survient un coup d’État, soutenu par une grande part des classes populaires, on devrait s’en indigner, nous suggère-t-on.
Moi, quand une minière canadienne se fait expulser du Burkina Faso comme ce fut le cas de la compagnie Endeavour en 2022, j’applaudis et je ne crie pas au fascisme, surtout qu’elle a été largement compensée.
Quid de l’influence russe?
« Notre révolution au Burkina Faso s’inspire de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’Humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du Tiers-Monde. Nous tirons les leçons de la Révolution américaine. La Révolution française nous a enseigné les droits de l’homme. La grande révolution d’Octobre a permis la victoire du prolétariat et rendu possibles les rêves de justice de la Commune de Paris ».
C’est dans ces mots que Thomas Sankara, premier président du Burkina Faso, s’adressait à l’Assemblée générale des Nations unies le 4 octobre 1984.
Le titre de son discours? « La liberté se conquiert ».
Il venait alors d’amorcer un grand virage social et politique dont les résultats se sont rapidement fait sentir. Entre 1983 et 1987, le taux d’alphabétisme est passé de 13 % à 73 %. Les terres agricoles ont été confisquées aux propriétaires terriens qui exploitaient sans vergogne la paysannerie à qui Sankara a remis gratuitement les terres, menant à une véritable explosion de la production de coton. Ajoutons à cela un programme national de vaccination et, de façon anecdotique mais symbolique, un gouvernement qui a vendu la flotte de véhicules officiels – des Mercedes – pour les remplacer par des Renault 5, plus modestes.
Le « Che Guevara africain », comme il était surnommé, tomba sous les balles d’un assassin et lui succéda Blaise Compaoré, l’homme de confiance de Paris. Mais on vous dira que c’est plutôt l’accession au pouvoir de Sankara, un internationaliste progressiste, qu’il aurait fallu décrier.
Est-ce à dire que les généraux qui renversent actuellement des gouvernements sont tous des émules de Sankara? On verra.
Déjà, on accusait à l’époque les leaders révolutionnaires comme Thomas Sankara d’être à la solde des Soviétiques.
On entend des choses similaires de nos jours, de la part de gens qui, ironiquement, soutiennent les changements de régime opérés ou préparés par l’Occident, mais crient toute leur indignation face à une possible influence russe.
De manière similaire, la dynastie Bongo, au pouvoir au Gabon durant un demi-siècle avant d’être renversés la semaine dernière, est soudainement devenue une lignée de grands démocrates aux yeux du commentariat occidental.
La vérité demeure que ce sont les puissances occidentales qui portent le fardeau de l’héritage colonial. Malgré les déclarations d’indépendance des années 1960, on a remplacé les occupations militaires et les administrations coloniales par des contrats d’exploitation (lire : pillage) entre des multinationales et des régimes fantoches à la solde des puissances européennes et américaines.
Est-ce à dire que les généraux qui renversent actuellement ces gouvernements sont tous des émules de Sankara? On verra.
La Russie, de son côté, a elle aussi le beau jeu de pouvoir se faire passer pour l’ami qui ne veut que du bien, mais qui possède son propre agenda. Son influence prédate les crises actuelles et remonte aux années de l’URSS, quand l’empire soviétique apportait son soutien aux révolutions et aux luttes de libération nationales.
Dans les rues de Niamey au Niger, puis plus récemment dans les rues de Libreville au Gabon, des manifestants brandissent des drapeaux russes. Réel désir de Russie ou rejet des anciens colonisateurs? Dur à dire et dur de savoir où cela conduira.
Par contre, je soulignerai que des Irakiens et des Afghans brandissaient des drapeaux américains à Kaboul, Kandahar et Bagdad.
On connaît la suite.