De l’hôpital à la prison : la criminalisation des troubles de santé mentale

En plus des conditions de détention difficiles, les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale en prison peinent à recevoir des soins.

Les personnes qui sont aux prises avec des troubles de santé mentale sont surreprésentées dans les prisons partout au Canada. Souvent, leur judiciarisation pallie un manque de services en santé mentale et leur détention restreint de plus belle l’accès aux soins.

L’enjeu n’est pas nouveau : on sait depuis un certain temps qu’au Canada, le taux de problèmes de santé mentale chez les personnes détenues est largement plus élevé que la moyenne de la population. Selon une étude réalisée en 2009, 70 % des jeunes incarcéré·es en seraient atteint·es.

Un texte signé par le juge défunt Edward F. Ormston de la Cour de l’Ontario décrivait d’ailleurs le système de justice pénale canadien, à tous les paliers, comme un « système de bien-être social de dernier recours ».

Ce qui explique le phénomène, écrivait-il, « c’est l’incapacité des gouvernements à offrir des outils pour diagnostiquer les problèmes, et à mettre en place des programmes de soins centrés sur la personne et des programmes de logement et de soutien financier ».

C’est ce que déplore la mère de Jules*, un jeune homme qui souffre de graves problèmes de santé mentale et qui est actuellement détenu dans une prison provinciale au Québec.

Depuis 2017, Jules aurait été incarcéré à plusieurs reprises dans divers établissements de détention provinciaux.

Sa détention actuelle remonte à février dernier. Il aurait été appréhendé par des policiers à la suite d’une altercation dans un autobus avec un autre usager, à Québec. En entrevue avec Pivot, sa mère explique qu’il rentrait alors de l’hôpital, où il aurait dû être gardé sous surveillance en urgence psychiatrique. On lui aurait cependant demandé de quitter après quelques heures, puisqu’il manquait de place, sans jamais recevoir de consultation psychiatrique.

« [Les policiers] ne tiennent pas compte du fait qu’il sort de l’urgence, ils ne tiennent pas compte du fait qu’il était hospitalisé », s’indigne la mère de Jules.

Entre deux chaises

« C’est quelque chose qui est assez récurrent », explique Nathalie Giguère, directrice clinique du Programme d’encadrement clinique et d’hébergement (PECH) à Québec. Depuis plus de 25 ans, l’organisme accompagne des centaines de personnes judiciarisées qui sont aux prises avec des troubles de santé mentale.

« Il y a un manque de service pour certaines personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Dès qu’il y a de la violence, de la consommation, l’accès aux services devient difficile. »

« Le système est fait pour des problématiques qui sont assez divisées », explique-t-elle. « On ne travaille pas les personnes dans leur ensemble. » Pour ceux et celles qui tombent entre deux chaises, il devient dur de se trouver une place dans le système de santé et de services sociaux.

Aux yeux de Mme Giguère, le cas de Jules illustre bien cette lacune que tente de combler PECH, souvent en faisant le pont entre les services de santé et le système pénal. 

« Il y a un manque de service pour certaines personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Dès qu’il y a de la violence, de la consommation, l’accès aux services devient difficile. »

Nathalie Giguère

« Nous, on amène des gens à l’hôpital et des fois ils n’ont même pas le temps de voir un docteur qu’ils se font sortir […] sans avoir une évaluation complète », souligne-t-elle. « Le moindrement qu’ils sont un peu agressifs, ou qu’ils se présentent en état de consommation, la porte se referme assez rapidement. »

« À ce moment-là, les policiers sont appelés rapidement à intervenir, souvent sans donner le temps à la personne d’exposer sa situation », précise aussi Noémie Lafontaine Samson, qui est intervenante au PECH. « Souvent, c’est qu’elles ne sont pas capables de le faire non plus. »

La prison sans services

La mère de Jules décrit comment, avant sa judiciarisation, son fils avait accès à une psychologue, une infirmière, un travailleur social, un pharmacien, un intervenant. Il a également eu recours à un psychiatre ainsi qu’une équipe de traitement bref à domicile après une hospitalisation, composée de spécialistes en santé mentale et en pharmacologie.

« Avant, mon fils avait une équipe », résume-t-elle.

Selon elle, depuis la première judiciarisation de son fils en 2017, Jules n’aurait pas eu accès à ces services. « En l’envoyant en détention, on s’assure de ne pas lui donner ses soins, pire même, on aggrave sa situation médicale », estime-t-elle.

« Je n’ai jamais vu l’ombre d’un travailleur social dans une prison provinciale. En fait, la personne-ressource, quand quelqu’un est vraiment en grande détresse, c’est l’aumônier. »

Nadia Golmier

Elle affirme que l’intervention inadaptée et violente des gardien·nes contribue à cette détérioration. Lorsqu’il était en état de psychose, Jules aurait par exemple été poivré et placé dans une cellule d’isolement.

« Imaginez : vous êtes en psychose et on vient vous agresser. Quelqu’un qui fait une crise cardiaque, est-ce qu’on va l’ignorer? On va lui porter secours, on ne va pas le poivrer. »

Déjà que les conditions de détention sont en elles-mêmes pénibles, particulièrement pour les personnes vulnérables, il est en plus difficile, voire impossible d’accéder à des services en santé mentale dans les prisons provinciales au Québec, confirme l’avocate en droit carcéral Nadia Golmier, qui représente des détenus aux prisons de Bordeaux et de Rivière-des-Prairies.

« Je n’ai jamais vu l’ombre d’un travailleur social dans une prison provinciale », signale-t-elle. « En fait, la personne-ressource, quand quelqu’un est vraiment en grande détresse, c’est l’aumônier. »

* Nom fictif. La mère de Jules a tenu à partager son histoire sous le couvert de l’anonymat, afin d’assurer sa propre sécurité et celle de son fils, qui aurait déjà subi des violences graves en prison. 

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