En tant qu’universitaires et défenseur·es des droits humains spécialisé·es dans l’antisémitisme et la discrimination anti-minoritaire, nous sommes profondément troublé·es par les appels à l’extradition de l’universitaire canadien Hassan Diab. Celui-ci a été jugé et déclaré coupable en son absence par un tribunal français et condamné à perpétuité pour l’attentat à la bombe contre une synagogue de Paris en 1980. Un crime que, de toute évidence, il n’aurait pas pu commettre.
Une version de cette histoire a été écrite il y a 100 ans par l’auteur juif européen Franz Kafka. Il nous est impossible de ne pas voir les parallèles entre Le Procès de Kafka – dans lequel le protagoniste Josef K est piégé dans les rouages d’un tribunal d’État pour un crime dont il n’a pas connaissance – et les épreuves d’Hassan Diab : une transposition horrifiante , de la fiction kafkaïenne du 20e siècle jusque dans la vie réelle du 21e siècle.
En effet, le calvaire imposé à Diab est à certains égards encore plus kafkaïen qu’une histoire de Kafka. Dans Le Procès, Josef K est présumé coupable sans aucune preuve. Hassan D, en revanche, a été déclaré coupable malgré des preuves contradictoires démontrant son innocence.
Des « preuves » peu probantes et un alibi en béton
Aucune des analyses médico-légales de la scène de l’attentat ne le désigne comme l’auteur, et les témoignages corroborent qu’il n’était même pas en France à l’époque. L’analyse de l’écriture manuscrite censée l’inculper a été discréditée avec autorité – et, en fait, reposait en partie sur des échantillons d’écriture qui n’ont pas du tout été produits par Diab.
Il s’agit exactement du même ensemble de « preuves » qui avaient précédemment été jugées insuffisantes pour déposer des accusations contre Diab par deux juges d’instruction français spécialisés dans le terrorisme, et décrites par le juge canadien Robert Maranger comme « faibles », « très problématiques » et « peu susceptibles [de conduire à une] condamnation dans le cadre d’un procès équitable. »
Et pourtant, la cour d’assises spéciale de Paris a décidé de procéder à une poursuite, malgré l’absence de nouvelles preuves – et maintenant, on ne sait comment, Diab a été condamné. In absentia, rien de moins.
Une longue tradition de discrimination et un bon bouc émissaire
Pourquoi Diab, et pourquoi maintenant?
Au lendemain de l’attentat de 1980, les récriminations contre le gouvernement français et les agences de sécurité pour leur incapacité à protéger les citoyens juifs – ou même à identifier les auteurs du crime – ont coïncidé avec l’introduction de nouvelles lois, pouvoirs et institutions étatiques draconiennes au nom du « contre-terrorisme ». Cette réponse mal ciblée, injuste et discriminatoire en réaction au problème de l’antisémitisme a été largement condamnée en France et à l’international.
Pourtant, quatre décennies après l’attaque de la synagogue, la condamnation de Diab pour cet horrible crime non résolu survient dans un contexte d’escalade de la répression étatique contre les Musulman·es, les Arabes et d’autres communautés victimes de racisme, tel que documenté lors du récent examen périodique universel de la France à l’ONU et dans de nombreux autres rapports d’impact sur les droits humains.
Loin de représenter la justice contre l’antisémitisme, l’utilisation de Diab comme bouc émissaire aggrave l’injustice et perpétue l’histoire de profilage racial et religieux des tribunaux français.
La plus notoire est la condamnation injustifiée de l’officier militaire juif français Alfred Dreyfus pour trahison en 1894. Comme Diab, Dreyfus avait été condamné sur la base d’une analyse d’écriture déficiente et de « preuves » secrètes, étayées par un antisémitisme omniprésent et une présomption de culpabilité juive.
Deux poids, deux mesures
Plus récemment, comparons le sort d’Hassan Diab dans le système judiciaire français à celui du major général américain Geoffrey Miller, qui a supervisé les opérations de torture des États-Unis à Guantanamo et Abu Ghraib. Miller a refusé de se présenter en France pour faire face à une affaire intentée contre lui au nom de deux Français musulmans rescapés de Guantanamo. En 2021, la justice française a purement et simplement rejeté leur plainte.
Comparons également les demandes de la France pour l’extradition de Diab avec le refus du même pays d’extrader ses propres citoyens vers le Canada, par exemple le prêtre français Johannes Rivoire, accusé d’avoir abusé sexuellement des enfants Inuit dans des pensionnats.
Persécution légalisée
Après que Diab ait été extradé par le Canada vers la France en 2014, il a été détenu pendant plus de trois ans, alors qu’il faisait l’objet d’une enquête, dans un isolement presque total, une violation de la Convention des Nations Unies contre la torture, avant d’être autorisé à rentrer chez lui. S’il est réextradé, on ne peut qu’imaginer à quel point ses souffrances seraient intensifiées maintenant que la déclaration de « culpabilité » a été officiellement obtenue.
À la fin du roman Le Procès, Josef K est tué par des fonctionnaires de l’État, « comme un chien ». Pour Diab, en revanche, condamné à une peine de « mort en prison » à perpétuité, il n’y aura pas de délivrance du supplice et de la persécution légalisés qu’il a été forcés d’endurer.
Le ministre de la Justice du Canada devrait exercer ses pouvoirs en vertu de la Loi sur l’extradition afin de rejeter l’extradition de Diab et refuser toute autre complicité canadienne dans ce spectacle ultra-kafkaïen honteux.
Howard Tzvi Adelman, professeur agrégé retraité d’études juives et d’histoire à l’Université Queen’s.
Bernie M. Farber, ancien PDG du Congrès juif canadien et président fondateur du Réseau canadien anti-haine.
Ivan Kalmar, professeur d’anthropologie à l’Université de Toronto.
Karen R. Mock, consultante en droits humains.
Ariel Salzmann, professeur agrégé d’histoire à l’Université Queen’s.