Le samedi 24 juin 2023, jour de Fête nationale au Québec, marquait aussi le sombre premier anniversaire du renversement de l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait, aux États-Unis, le droit à l’avortement dans tous les États.
Nos voisins du Sud se préparant à l’élection présidentielle de 2024, les candidats républicains y sont allés, la fin de semaine dernière, de surenchères misogynes qui en disent long sur la vigilance qui sera de mise dans les années à venir en matière d’équité sociale et de droits des femmes – même chez nous.
Quand La Servante écarlate ressemble de moins en moins à de la fiction
Voici donc que le gouverneur de la Floride Ron DeSantis, l’ancien vice-président Mike Pence et l’ex-président Trump (ça sonne le remâché, me direz-vous…) se disputent le titre de représentant du Parti républicain. Ce faisant, les trois hommes se défient devant leurs assemblées partisanes pour le titre du plus grand opposant à l’avortement. Autrement dit, ils se chicanent pour savoir lequel incarnerait le meilleur héros capable de préserver le peuple du « fléau » que représente à leurs yeux l’autonomie des femmes.
Ces hommes se rendent-ils compte à quel point ils deviennent de plus en plus des caricatures? Le regard impérieux, la bouche pincée dans une expression de dédain lorsque vient le temps de parler d’enjeux obstétricaux et gynécologiques, ils arborent éhontément leur syndrome du sauveur en espérant augmenter leur cote de popularité sur le dos des femmes.
Interdire les mesures abortives est une question d’assujettissement d’une vaste part de la population.
À grands coups de formulations aussi mièvres que vides (« du fond du cœur », « le caractère sacré de la vie »), chacune de leurs prises de parole confirme que le roman La Servante écarlate de Margaret Atwood n’appartient plus au domaine de l’imaginaire : ce n’est autre que le conte de fées de la droite religieuse américaine.
Celle-ci se donne les moyens de le concrétiser depuis longtemps, ce rêve, et elle ne s’arrêtera pas là. Je me permets d’extrapoler : entre légiférer sur l’avortement et sur la contraception, il n’y aura qu’un tout petit pas pour les républicains.
Des conséquences appelées à s’aggraver
Un militant anti-choix a osé, lors du rassemblement de Pence, pousser la note jusqu’à comparer l’interdiction de l’avortement à une « victoire » similaire à la fin de l’esclavage. À quel point faut-il se plonger dans l’aveuglement volontaire (ou l’idiotie?) pour ne pas voir qu’interdire les mesures abortives est précisément une question d’assujettissement d’une vaste part de la population?
Il faut aussi être carrément de mauvaise foi pour ignorer que ce sont surtout les femmes racisées et celles issues de milieux moins favorisés qui sont actuellement parmi les plus nombreuses à être forcées de mener à terme des grossesses non désirées aux États-Unis. L’interdiction de l’avortement contribue sévèrement à accroitre les écarts raciaux et sociaux!
Les conséquences du renversement de l’arrêt Roe v. Wade sont donc déjà bien tangibles et elles sont appelées à s’aggraver.
Entre légiférer sur l’avortement et sur la contraception, il n’y aura qu’un tout petit pas pour les républicains.
Une carte parue dans Le Monde permet d’ailleurs de constater en un coup d’œil l’ampleur des dégâts et de la menace qui plane sur une inquiétante quantité d’États.
Les États qui (pour l’instant) autorisent toujours l’interruption volontaire de grossesse doivent donc se partager la totalité de la demande, ce qui augmente considérablement les temps d’attente. Des femmes doivent aussi s’absenter du travail et organiser des séjours dans des États voisins.
Un marché noir de pilule abortive s’organise à grands risques pour les personnes qui y ont recours.
Certaines femmes dont la grossesse est risquée sont même forcées d’attendre de courir un grave danger avant d’être autorisées à se présenter à l’hôpital.
« Le caractère sacré de la vie », avez-vous dit? Quelle arrogance!
Et ici?
Au Canada et au Québec, le recul des droits des femmes aux États-Unis en matière d’avortement a des répercussions certaines, notamment parce qu’il galvanise le camp anti-choix et a mis les activistes pro-choix sur un pied d’alerte, tel qu’en atteste la spécialiste Louise Langevin, avocate et professeure titulaire à l’Université Laval,
Par ailleurs, en entrevue à Radio-Canada, Me Langevin souligne l’iniquité qui existe entre les provinces canadiennes en matière de points d’accès. Elle soulève que dans la ville de Québec, une personne qui veut bénéficier d’un avortement devra subir une attente de minimum cinq semaines avant d’obtenir un premier rendez-vous.
Le recul américain galvanise le camp anti-choix et a mis les activistes pro-choix sur un pied d’alerte
Même son de cloche du côté de plusieurs spécialistes et groupes militants, qui décrient l’idée, évoquée par la ministre responsable de la Condition féminine Martine Biron, de mettre en place une loi sur l’avortement au Québec, ce qui risquerait, au contraire, d’accroitre inutilement les restrictions.
S’il est réellement préoccupé par la santé sexuelle et reproductive, le gouvernement pourrait déjà commencer par la base en écoutant les revendications des femmes et des groupes féministes, et en se penchant sur l’attente faramineuse du côté de la médecine familiale.
L’accès aux soins de santé demeure un réel enjeu en matière d’équité sociale et de genre, même si notre système est plus démocratisé qu’aux États-Unis. Ne commettons pas l’erreur de baisser la garde et voyons plutôt le vécu des Américain·es comme un retentissant signal d’alarme.