L’homme blanc se porte très bien à l’Université : nouvelles du front de la guerre culturelle

CHRONIQUE | Les polémistes réactionnaires comme Facal, qui veulent nous faire croire que les hommes ont été chassés des campus, propagent des thèses alarmistes, catastrophistes et surtout fallacieuses et farfelues.

Le printemps venu, voici le moment tout désigné pour procéder au bilan de l’année universitaire qui vient de se terminer.

L’an dernier, Jordan Peterson, qualifié par le New York Times d’intellectuel le plus influent de notre époque, avait publié une lettre dans le National Post pour justifier sa démission comme professeur de l’Université de Toronto (où il reste tout de même professeur émérite). Il y laissait entendre qu’il n’y aurait bientôt plus d’embauches d’hommes blancs comme professeurs.

C’est aussi ce que laissait entendre dans le Journal de Montréal, il y a quelques années déjà, le chroniqueur – et professeur aux HEC – Joseph Facal.

Le sociologue de l’Université d’Ottawa Robert Leroux, mort il y a quelques mois, défendait déjà cette thèse absurde et fallacieuse dans une lettre ouverte au Devoir en 2003. Il déclarait alors que ce phénomène avait pris forme au début des années 1980!

Surplus de candidat·es

En réalité, 80 % des personnes détenant un doctorat ne parviendront pas à décrocher un poste de professeur·e au Canada, malgré leur talent et leurs efforts, tant la concurrence est féroce et les postes relativement rares.

À titre d’exemple, nous n’ouvrons généralement qu’un seul poste par année dans mon département en science politique à l’UQAM, et c’est toujours dans un domaine très précis. Ainsi, l’une de nos trois dernières offres d’emploi avait pour thèmes « politiques et d’administration publique » et les deux autres, la « politique mondiale », avec comme spécialités l’Afrique (l’an dernier), et les nouvelles technologies (cette année).

Même si vous avez complété un doctorat et un postdoctorat dans de prestigieuses universités, votre dossier aurait été mis à la corbeille lors de pareils concours d’embauche si vos recherches portent sur d’autres sujets, comme les luttes internes dans le Parti démocrate aux États-Unis, les fraudes du camp du « non » lors du référendum de 1995, la résistance palestinienne, la théorie féministe de Judith Butler, la comparaison du nationalisme en Catalogne et en Écosse ou la conception de la « démocratie » chez Montesquieu. On peut donc détenir un doctorat en science politique, un dossier de publications étoffé et des expériences d’enseignement comme chargé·e de cours, sans avoir l’occasion de soumettre sa candidature pendant des années, si votre spécialité ne correspond jamais à celles recherchées.

Il n’y a jamais de crise de la main-d’œuvre sur le marché de l’emploi universitaire, mais toujours un surplus de détenteur·trices de doctorat à la recherche d’un poste…

Dans ce contexte de pénurie constante d’offres d’emplois, est-ce vrai que les hommes blancs ne sont pas embauchés?

Embauches

En réalité, 60 % des professeurs d’université au Canada sont des hommes. Mais qu’en est-il des nouvelles embauches de l’année universitaire qui se termine? J’ai fait une petite tournée auprès de mes contacts dans différents départements pour connaître la situation.

En science politique, l’Université de Montréal a recruté une femme blanche et l’Université Laval une « femme de la diversité », comme me l’indique mon contact là-bas, qui précise aussi que son département a recruté depuis 2020 deux femmes blanches ainsi que deux hommes blancs. De son côté, l’École de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke a embauché cette année une femme blanche et un homme blanc. Dans notre département à l’UQAM, un concours s’est terminé cet hiver avec trois hommes blancs comme finalistes. Je vous laisse deviner le profil de la candidature retenue.

Donc, deux hommes blancs embauchés en science politique cette année, sur cinq embauches (40 %). Si ce n’est pas la moitié, ça ne correspond tout de même pas vraiment aux discours alarmistes de Jordan Peterson et Joseph Facal.

Les polémistes réactionnaires qui veulent nous faire croire que les hommes ont été chassés des campus propagent des thèses alarmistes, catastrophistes et surtout fallacieuses et farfelues.

Allons voir la situation dans les départements d’histoire. À l’UQAM, le poste de spécialiste de la Nouvelle‑France vient d’être pourvu par un homme blanc, tout comme le poste en histoire du Québec-Canada préindustriel à l’Université de Sherbrooke, celui en histoire du Québec à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et celui en histoire sociale à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Il n’y a donc que des hommes blancs recrutés (100 %) en histoire dans quatre départements différents où j’ai des contacts, y compris pour les trois postes en histoire du Québec. Ça ne correspond pas du tout à ce que prétendent Jordan Peterson et Joseph Facal.

Sujets de mémoires et de thèses

En plus des embauches, Joseph Facal conseillait aussi « de regarder les sujets des thèses », pour se convaincre de la domination des féministes et des antiracistes sur les campus.

Bon élève, j’ai suivi sa recommandation méthodologique. J’ai ainsi consulté les titres de mémoires de maîtrise et des thèses de doctorat de la dernière année en science politique, disponibles sur le site de la bibliothèque de l’Université de Montréal.

On constate rapidement trois choses : premièrement, les sujets relevant du féminisme et de l’antiracisme ne sont pas du tout à la mode; deuxièmement, on y semble surtout obsédé par la guerre, objet d’étude très classique en science politique; enfin, la moitié des mémoires et des thèses sont en anglais, mais les sujets de ces recherches n’en sont pas plus « wokes » pour autant.

Jordan Peterson et Joseph Facal, pourtant eux-mêmes universitaires, produisent et propagent des fake news au sujet de l’université pour stimuler une panique à l’égard des féministes et des antiracistes.

Sur les trois mémoires, il y en a bien un qu’on pourrait qualifier de « woke », soit La participation politique des jeunes Autochtones au Canada : le portrait de six jeunes de la communauté de Timiskaming First Nation, même si le sujet est tout à fait légitime et pertinent pour la science politique. Mais les deux autres s’intitulent L’investissement en santé publique dans les provinces canadiennes de 1975 à 2018 et Do unfounded claims of election fraud influence the likelihood of voting?.

Du côté des cinq thèses, trois portent sur la guerre, une sur les élections et une sur les consultations publiques.

En conclusion, un seul titre sur un total de huit peut être associé à des études sur le racisme, portant spécifiquement sur les jeunes autochtones, et il n’y a rien du tout sur les femmes ou le féminisme.

Les sujets de mémoire et de thèse relevant du féminisme et de l’antiracisme ne sont pas du tout à la mode, on semble surtout obsédé par la guerre.

Dans mon département en science politique à l’UQAM, apparemment un repère de terribles « wokes », les deux thèses répertoriées en 2023 par notre bibliothèque portent des titres qui n’annoncent rien de très « woke » : La Chine contemporaine en transition énergétique (1990-2020) et Politique et recensement : Évolutions et transformations méthodologiques d’un instrument de gouvernement.

On y trouve aussi sept mémoires de maîtrise, dont l’un sur les hommes proféministes et un autre sur les femmes autochtones au Guatemala, deux sujets tout à fait légitimes, mais qu’on peut assurément qualifier de « wokes ». Quant aux cinq autres, il s’agit de mémoires sur les « élections à l’ère des métadonnées », l’immigration francophone au Canada, le schisme d’Orient, les arrestations de masse en vertu du règlement P6 à Montréal et les liens entre l’élection de Donald Trump et les populations rurales du Midwest.

Sur neuf thèses et mémoires, on en compte donc sept – la très grande majorité – dont les sujets sont très classiques pour la science politique, et surtout, pas « wokes » pantoute, le tout rédigé en français… À l’UQAM, en 2023!

Notre département s’est récemment réjoui que l’une de nos étudiantes, Isabelle Le Bourdais, ait reçu le prix du meilleur mémoire de l’année par la Société québécoise de science politique. Son mémoire, terminé en 2022, s’intitule La critique de l’aliénation dans l’École de Francfort : l’importance de Nietzsche et Heidegger comme altérité discursive, et propose une analyse de « la réactualisation […] sur des bases existentiales et phénoménologiques, de la critique de l’aliénation » (selon le résumé). Si tout cela est bel et bien marxiste, ce n’est pas très « woke », et l’auteure y discute surtout d’hommes blancs.

À la tête de départements

En consultant divers sites Web d’universités au Québec, j’ai aussi pu constater que ce sont des hommes qui occupent les postes de directeur des départements de science politique de la province (Concordia, Laval, McGill, Sherbrooke, de Montréal et UQAM), ainsi que des départements de sciences sociales à l’UQO et de sciences humaines et sociales à l’UQAC. Certes, la direction d’un département n’est pas toujours une partie de plaisir et ne représente pas nécessairement un exercice de pur pouvoir, mais reste que des hommes ont été élus par leurs collègues pour diriger tous ces départements en 2023.

Voilà une preuve supplémentaire, et concrète, que les polémistes réactionnaires qui veulent nous faire croire que les hommes ont été chassés des campus propagent des thèses alarmistes, catastrophistes et surtout fallacieuses et farfelues.

Ainsi donc, des polémistes comme Jordan Peterson et Joseph Facal, pourtant eux-mêmes universitaires, produisent et propagent des fake news au sujet de l’université pour agiter l’opinion publique et stimuler une panique à l’égard des féministes et des antiracistes, qui pratiqueraient une sorte de sexisme et de racisme inversés, dont les hommes blancs seraient victimes.

Bon été, bonnes canicules, bons incendies!

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