Doléances d’un prof

Cher Québec de mon cœur,

Je dois t’avouer que, ces dernières années, je me suis mis à t’en vouloir.

L’enseignant en moi a beaucoup de mal à s’expliquer les choix que tu fais en éducation. Il comprend très mal à quel point tu peux clamer être amoureux de tes enfants et autant nuire à leur développement, même si c’est inconsciemment.

Je t’en veux de laisser dépérir ton réseau d’éducation. De laisser tes bâtiments tomber en ruines sans en faire une priorité sociale. De laisser tes enseignant·es tomber sous la charge irréaliste de leur tâche en continuant d’en pelleter de plus en plus dans leur cour. De sous-financer des programmes qui allument tes jeunes.

Je t’en veux, que lorsqu’on te parle d’éducation, tu préfères te laisser emporter dans des débats de surface plutôt que de t’attaquer aux problèmes de fond. De croire que les périls les plus urgents, ce sont les symboles religieux et le cours d’éthique et culture religieuse qui sensibilisent les jeunes au phénomène de la religion. De croire les politicien·nes, les chroniqueur·euses et les réactionnaires qui te disent que le plus grand danger du système d’éducation actuel, c’est le wokisme.

De croire qu’alors que le système est en lambeaux, qu’il manque de locaux et de profs et que les CPE manquent de ressources, l’implantation de la maternelle 4 ans soit une priorité.

Je t’en veux d’être ben à l’aise que les politicien·nes se votent une augmentation salariale de 30 %, alors que les profs doivent aller en grève pour se faire offrir moins de 10 %.

Je t’en veux de ne pas avoir de plus grandes attentes pour le ministre en charge de l’éducation au Québec. D’être passé en dix ans de la ministre qui croit que l’éducation supérieure est un privilège à un ministre qui nie les rapports sur la vétusté des écoles, en passant par celui qui dit que personne ne meurt d’avoir moins de livres en classe et celui qui nie le problème de qualité de l’air dans les écoles.

D’être ben à l’aise que ces politicien·nes se votent une augmentation salariale de 30 % qui serait rétroactive et effective immédiatement, alors que les profs doivent aller en grève pendant plusieurs semaines pour se faire offrir moins de 10 % d’augmentation étalé sur trois à cinq ans.

Je t’en veux de laisser la ségrégation scolaire se développer pernicieusement dans notre réseau. D’avoir renié l’idéal de l’égalité des chances au profit de formations d’« élite ». D’être à l’aise d’avoir des élèves dans des écoles financées à 60 % par le gouvernement qui ont tous une tablette alors que d’autres ont du mal à avoir un déjeuner. De valoriser les succès d’une poignée d’élèves privilégié·es qui ont accès à des programmes extraordinaires, en oubliant l’élève immigrant·e qui apprend le français en moins d’un an tout en travaillant pour aider ses parents à subvenir aux besoins familiaux.

Je t’en veux d’oublier les élèves qui n’entrent pas dans le cadre de l’éducation industrielle et les perdre par manque de ressources humaines ou financières.

Je t’en veux de laisser une profession aussi névralgique que l’enseignement être constamment attaquée et dévalorisée. De préférer la vision de chroniqueur·euses et de politicien·nes déconnecté·es du milieu à celles d’expert·es en éducation et d’acteur·trices du terrain. De préférer confier l’avenir de l’éducation à un cuisinier et un athlète, plutôt qu’à des enseignant·es et des expert·es en pédagogie. 

Je t’en veux de voir le réseau décrépir et de ne pas en faire un enjeu crucial à chaque élection.

Je t’en veux de te détacher du réel état de ton système d’éducation. De vouloir pelleter dans la cour de l’école tout ce qui doit être appris en négligeant le partenariat école-maison-société. De penser l’école comme un lieu fermé plutôt qu’un acteur névralgique de la communauté.

De voir le réseau décrépir et de ne pas en faire un enjeu crucial à chaque élection. De laisser des politicien·nes s’emparer du dossier de l’éducation pour l’aborder en surface seulement. De ne pas avoir le courage d’exiger la révolution dont le système de l’éducation a grandement besoin.

De laisser ces chroniqueur·euses et ces politicien·nes prendre le contrôle du discours sur l’éducation. De les laisser se servir de l’éducation comme monnaie d’échange pour un gain politique. De les laisser détourner l’attention médiatique des problèmes structurels du système vers des enjeux de surface.

Et je nous en veux finalement à nous, acteur·trices de l’éducation. De ne pas nous soulever plus bruyamment pour sauver notre réseau. De défendre chacun notre chapelle plutôt que de nous solidariser pour révolutionner le réseau.

Cher·es Québécois·es, je nous en veux de ne pas avoir la vision d’avenir ambitieuse que nos enfants méritent.