Quand les règles internationales bloquent le changement social

Dans le système international actuel, un gouvernement qui ne respecte pas les règles budgétaires ou commerciales s’expose à des conséquences de différentes natures. Il peut voir sa cote de crédit être réduite par les agences de notation. Il peut être amené devant l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce. Il peut être forcé d’appliquer un programme d’ajustement structurel, associé à des mesures d’austérité et à la libéralisation des échanges. Il peut aussi subir des conséquences indirectes, comme un exode des capitaux.

Comment un gouvernement de gauche peut-il composer avec ce type de résistance?

Règles à géométrie variable

D’abord, les règles internationales concernent une panoplie de domaines, pas seulement celui de l’économie. Des conventions existent pour protéger les droits des enfants, ceux des femmes, des travailleurs et travailleuses, des espèces vivantes et des écosystèmes, et même plus.

Que ce soit sous des gouvernements conservateurs ou libéraux, un nombre impressionnant de conventions et de traités internationaux n’ont pas été entérinés par le Canada (par exemple la Convention n° 169 sur les droits des peuples autochtones), ou encore n’ont pas été respectés (comme la Convention 138 de l’Organisation internationale du travail sur la fixation d’un âge minimum pour travailler).

Un gouvernement qui entretient un bon rapport de force avec d’autres États peut s’en tirer sans grande conséquence.

La première leçon à tirer, me semble-t-il ici, est que toutes les violations ne sont pas nécessairement punies et qu’un gouvernement, surtout lorsqu’il entretient un bon rapport de force avec d’autres États, peut s’en tirer sans grande conséquence.

On le voit aussi avec les sanctions économiques contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine. Il a été laborieux de les imposer et de déployer les moyens pour les faire respecter (en particulier lorsque l’État canadien lui-même ne les respecte pas toujours), mais, surtout, la Russie ne semble pas systématiquement affectée par ces sanctions, principalement parce qu’elle a déployé des relations d’impérialisme avec toute une partie du monde.

La convergence des luttes populaire sera le sujet d’un atelier lors de la conférence La Grande Transition.

L’événement international La Grande transition est de retour à Montréal du 18 au 21 mai 2023 et présentera plus de 150 conférences à l’Université Concordia. Cet événement majeur rassemblera des expert·es en développement durable, des entrepreneur·es et des citoyen·nes engagé·es pour discuter et réfléchir à la transition hors du capitalisme, pour une alternative sociale et économique qui soit écologique, féministe, égalitaire et démocratique.

Pour en savoir plus : lagrandetransition.net

L’importance de la solidarité internationale

Deuxièmement, il est possible pour un gouvernement de gauche de rompre avec certaines pratiques économiques et financières. D’une part, des instances comme la vérificatrice générale pourraient avoir un pouvoir d’évaluation, de sanction et de recommandation comme les agences de notations détiennent parfois dans certains cas, sauf qu’ici les services publics seraient évalués dans l’intérêt de leur pérennité et de leur élargissement, et non dans la perspective d’imposer des politiques néolibérales.

La coopération et la solidarité internationales avec d’autres gouvernements similaires contribuent au succès d’un gouvernement de gauche.

Les cotes de crédit, comme leur nom l’indique, servent à avoir de meilleurs taux d’intérêt sur des emprunts. C’est ici, à mon avis, qu’entre en jeu un des facteurs majeurs qui contribue au succès et à la longévité d’un gouvernement de gauche : la coopération et la solidarité internationales avec d’autres gouvernements similaires, qui peuvent apporter expertise ou soutien financier, entre autres.

Finalement, dans le livre Construire l’économie postcapitaliste, mes coauteurs et moi-même présentons des modèles économiques anticapitalistes, où plusieurs auteurs affirment que les problèmes actuellement rencontrés comme les rivalités commerciales, le secret industriel, les droits de propriété disparaîtraient tout simplement dans une économie émancipatrice et non concurrentielle.

Plutôt que de parler du commerce, qui est un terme marchand, nous proposons des formes d’échange solidaire entre territoires. En effet, des échanges sont non seulement nécessaires, mais souhaitables, car il ne s’agit pas de mettre en place des communautés autarciques, mais plutôt des communautés résilientes, décroissantes, démocratiques et solidaires. Pour y arriver, il est nécessaire que chaque communauté puisse se dédier à des activités économiques dans le respect des caractéristiques et des limites de leur écosystème, et en complémentarité des autres communautés.

Audrey Laurin-Lamothe est professeure adjointe au Département de science sociale de l’Université York à Toronto et co-autrice du livre Construire l’économie postcapitaliste.