Les conspis au pouvoir

Les médias de masse s’inquiètent de la polarisation politique et de la dégradation du débat public en mettant en cause une prétendue radicalisation des « wokes » et l’extrême droite. Et si la raison était plus complexe? Quelques pistes sur le rôle du gouvernement et de son populisme numérique.

Le Québec francophone s’offre un crash course en transphobie militante depuis le début de l’année, on dirait. Depuis quelques semaines en particulier, il n’y a pas que les jonquilles et les magnolias qui se pointent, mais aussi les vieilles théories conspirationnistes d’extrême droite américaines. Tour à tour, c’est l’heure du conte en drag, la litière à l’école et la rapid onset gender dyshporia (supposée épidémie de transition de genre).

Tous des tropes de la droite conservatrice. Du réchauffé pour qui suit déjà l’actualité de ce qui se passe à l’autre bout du chemin Roxham.

On sait très bien ce qui se cache derrière les bons sentiments pour les pauvres enfants et les détransitionneur·euses : un agenda d’extrême droite religieuse transphobe et misogyne.

Le plus insupportable dans tout cela, c’est de voir des Joseph Facal et PDF Québec, pourtant fermement anti-religieux·ses, se faire les idiot·es utiles d’une minorité d’extrémistes chrétien·nes fondamentaliste. À force de jouer à l’avocat du diable et à chercher un point d’équilibre entre des positions prétendument extrêmes, les critiques de la bien-pensance – gender critical, pourrait-on dire – sont finalement résolument sectaires.

Cette semaine, on a droit à la crise de la fête des Mères, un wedge issue qui a l’avantage d’être fondé dans la réalité, mais qui soulève encore une fois la même panique morale face à l’effondrement des institutions cishétorosexistes.

Papa s’essaie aux réseaux sociaux

C’est presque devenu un réflexe : quand l’ordre moral national est menacé, on appelle papa à la rescousse. Qu’un gouvernement conservateur comme celui de la CAQ soit lourdement centralisateur et interventionniste ne surprend personne, mais ce qui inquiète, c’est l’indifférence, voir l’enthousiasme d’un certain public face aux ingérences répétées du gouvernement – en particulier du ministre de l’Éducation – dans des enjeux ultra-locaux.

Toujours intransigeant et excessif, Drainville s’empresse de nourrir la machine à outrage.

Quand il ne s’agit pas d’un local de prière aménagé par une administration inquiète de la sécurité des élèves musulman·nes, c’est une enseignante qui crie sur ses élèves ou la décision d’une autre de ne pas faire des bricolages à la fête des Mères. Tout est prétexte, apparemment, à solliciter le gars de la Charte, Bernard Drainville, à venir au secours de nos valeurs québécoises.

Toujours intransigeant et excessif, le ministre s’empresse de nourrir la machine à outrage. Le gouvernement marche au clout et suit donc exactement la ligne tracée par les algorithmes pour créer de l’engagement – et tant pis si les commentaires sont racistes et homophobes : ce n’était pas dans le communiqué.

Les algorithmes sont-ils d’extrême droite?

On sait d’expérience que ce qui se passe aux États-Unis finit toujours par nous tomber dessus quelques années plus tard. On l’a bien senti avec les mouvements conspirationnistes anti-vaccins et l’étrange fascination des leaders des convois de camionneurs pour la politique américaine.

Alors qu’on investigue à bon droit la filière d’extrême droite et qu’on s’intéresse aux liens entre les organisations américaines et canadiennes pour expliquer cette importation des discours extrémistes violents, peut-être qu’il y aurait lieu d’investir une autre piste : les algorithmes.

Je ne veux pas démoniser les réseaux sociaux, ce serait trop facile. Ce que j’inviterais plutôt à questionner, c’est la face cachée des réseaux, leurs entrailles, leur logique interne. Plus encore, à se demander comment cette logique interne renforce et obéit à des dynamiques sociales et politiques délétères.

Le gouvernement marche au clout et suit donc exactement la ligne tracée par les algorithmes pour créer de l’engagement.

Il y a quelques semaines, le média alternatif Mother Jones révélait l’existence d’un petit groupe qui serait derrière l’effort national pour la criminalisation des soins transaffirmatifs aux États-Unis. Qu’une infime minorité de personnes puisse avoir un tel impact sur la sécurité, la qualité de vie et le climat politique d’un pays entier a de quoi poser de sérieuses questions.

C’est qu’il y a, selon moi, un croisement extrêmement fructueux entre les thèmes soulevés par les fondamentalistes, le sens commun, la culture de l’outrage et le mystère des algorithmes. C’est une tempête parfaite.

Les fascistes ont très bien compris que le sens commun libéral généralement mis en scène dans les médias de masse ne sert qu’à neutraliser autant que possible le contenu pour le rendre plus digeste, plus facile à vendre au plus grand nombre. Il y a en effet peu de correspondance entre la bien-pensance radio-canadienne et l’état réel du débat public, et surtout le niveau d’éducation de la majorité de la population.

Dès lors, il suffit de crier « famille », « enfant », « pédophile » et la chambre d’écho prend le relai. La fonction des algorithmes, c’est de susciter l’engagement et de garder les clients sur la plateforme. Et c’est à la somme des réactions, positives ou négatives, que se calcule l’engagement. Cela se traduit en une énorme visibilité pour les sujets controversés sans égard à leur pertinence pour le public. Cela soumet de facto l’agenda d’une classe politique à la recherche de clout aux pratiques marchandes de Meta et de Musk.

En jouant le jeu du populisme numérique, la CAQ contribue à la culture de l’outrage nourrie par les tendances conspirationnistes et fondamentalistes chrétiennes.

Dans cette économie de la confusion, c’est le « gros bon sens » qui prévaut, l’opinion d’un quidam vaut autant que le témoignage d’une victime, le relativisme est complet. Et le sens commun blanc, cis, hétéro, francophone, nationaliste de classe moyenne a tendance à briller moins par son intelligence que par son ubiquité.

Quand le gouvernement normalise le conspirationnisme

On sait donc qu’un mouvement conspirationniste s’est bien implanté au Québec lors de la pandémie, on sait aussi ses affinités avec l’extrême droite et on connait aussi sa méfiance envers la CAQ. Il peut sembler grotesque dans le contexte d’accuser la CAQ d’être de mèche avec ces tendances. Par contre, est-ce qu’il serait possible qu’elle s’adonne au même jeu que nos idiot·es utiles de PDF Québec et du Journal de Montréal, en cherchant à tirer du profit politique d’une tendance qui lui est pourtant hostile? C’est ma conviction.

Cela se traduit en une énorme visibilité pour les sujets controversés sans égard à leur pertinence pour le public.

En jouant le jeu du populisme numérique, la CAQ contribue à la culture de l’outrage nourrie par les tendances conspirationnistes et fondamentalistes chrétiennes et, en ce sens, elle devient l’une des principales forces pour non seulement importer l’agenda d’extrême droite américain, mais aussi le rendre mainstream.

C’est comme ça qu’on se réveille un bon matin pour se rendre compte que la discussion sur les langues officielles au Québec est maintenant dominée par la théorie du Grand Remplacement. La classe politique doit être tenue responsable de ce fiasco.