La priorité en éducation : améliorer drastiquement les conditions de travail du personnel

Les problèmes dans le système d’éducation sont nombreux, nous le savons, mais quels sont ceux qui, actuellement, affectent dramatiquement notre capacité, comme société, à offrir à nos enfants et à nos concitoyen·nes une éducation à la hauteur de nos aspirations collectives?

Pourquoi certains groupes d’élèves se retrouvent-ils sans enseignante qualifiée? Ou sans enseignante tout court? Pourquoi certains groupes d’élèves voient-ils les enseignantes se succéder les unes après les autres tout au long de leur année scolaire? Pourquoi les parents doivent-ils se tourner vers le privé pour obtenir des services d’aide pour leurs enfants?

Les recherches scientifiques le démontrent : les conditions d’exercice extrêmement difficiles font fuir plus du quart des enseignantes avant même qu’elles aient exercé pendant cinq ans, voire plus tôt, lors de leur formation initiale. Les congés de maladie se multiplient et les plus âgées partent avant l’âge de la retraite, usées par la pénibilité persistante de leurs conditions de travail.

Les centres de services scolaires peinent à combler les postes de psychologues et de techniciennes en service de garde. Devenues une courroie de transmission dévitalisée du sens pédagogique de leur travail, les directions commencent à déserter l’école publique pour le privé.

Les conditions d’exercice extrêmement difficiles font fuir les enseignantes.

Les actions du ministre de l’Éducation et de son gouvernement devraient, de manière urgente, améliorer les conditions d’exercice des personnels scolaires. C’est une évidence. Or, c’est précisément l’inverse qu’ils préconisent en ce moment : la réforme du ministre Drainville ajoute l’insulte à l’injure des offres faites aux personnels de l’éducation dans les derniers mois.

Mettre de l’huile sur le feu : accentuer les facteurs de pénibilité du travail

Alors que le projet de loi 23 proposé par le ministre de l’Éducation prétend, avec la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEÉ), vouloir mettre la Science au cœur des pratiques pédagogiques et gestionnaires en éducation, il fait fi des connaissances scientifiques disponibles sur les effets du type de mesures qu’il sous-tend. De fait, les recherches en santé au travail montrent les effets néfastes du type de gestion centralisatrice que le ministre souhaite mettre en place.

Parmi les caractéristiques de l’environnement de travail reconnues pour mener à la dégradation de la santé mentale des personnels scolaires, à leur absentéisme, à leur intention de quitter, voire à leur décrochage professionnel, on retrouve notamment le manque de reconnaissance, la faible latitude décisionnelle, les fortes demandes psychologiques et l’impossibilité de trouver un sens à son travail.

Tout indique que le projet de loi aggravera ces risques psychosociaux du travail alors même que ce même gouvernement a adopté, en 2021, un projet obligeant les organisations à prévenir ces mêmes risques.

Manque de reconnaissance

La création de l’Institut national d’excellence en éducation et les mécanismes prévus pour orienter la formation continue du personnel enseignant (dont l’intervention du ministre lui-même) traduisent un manque de reconnaissance et de confiance flagrant envers le professionnalisme des enseignantes et des équipes-écoles.

Ils viennent renforcer ce message que reçoivent systématiquement les enseignantes depuis des années lorsqu’elles éprouvent des situations difficiles au travail : vous n’êtes pas suffisamment compétentes pour faire face à ces situations, il vous faut adopter de nouvelles pratiques, vous devez vous former adéquatement. Il fait en outre écho au message méprisant qui circule à l’effet que les enseignantes seraient résistantes à évaluer leur pratique professionnelle et à solliciter de la formation pour l’améliorer.

La réforme renforce ce message aux enseignantes : vous n’êtes pas suffisamment compétentes.

Bref, on entretient encore, avec ce projet de loi, cette image dévalorisante des enseignantes actuellement en exercice sans prendre la mesure de ce qui contraint, empêche l’activité et augmente la détresse et l’épuisement.

Faible latitude décisionnelle

 En plus du message méprisant envers les savoirs et les compétences professionnelles des enseignantes qu’elle charrie, la création de l’INEÉ ouvre la voie à une attaque envers l’autonomie professionnelle des enseignantes. De son propre aveu, le ministre, avec les pouvoirs que lui conférerait cette loi, pourrait vouloir imposer l’adoption de pratiques pédagogiques précises (reconnues « efficaces » par « la » recherche en éducation – selon une vision bien circonscrite de la recherche, soulignons-le) dans des écoles qui présentent des taux de réussite trop faibles pour lui.

La réforme ouvre la voie à une attaque envers l’autonomie professionnelle des enseignantes

N’était-ce pas l’ancien ministre de l’Éducation lui-même, Jean-François Roberge, qui disait que les mieux placés pour prendre des décisions pour le bien des élèves étaient ceux et celles qui pouvaient les « appeler par leur nom »?

Demandes psychologiques élevées et non-sens du travail

Les enseignantes sont de plus en plus soumises à des exigences de performance qui s’ajoutent aux demandes psychologiques déjà élevées qui caractérisent leur travail (surcharge et exigences émotionnelles). La réforme proposée, avec son « tableau de bord » de données visant à surveiller le parcours et la réussite des élèves, viendra accentuer les mesures de reddition de compte déjà en place sur la réussite scolaire telle que mesurée par des évaluations chiffrées.

Les enseignantes sont de plus en plus soumises à des exigences de performance.

Ces mesures mettent pourtant de la pression indue sur les enseignantes alors qu’elles ne contrôlent pas les facteurs qui prédisent la réussite (p. ex. défavorisation sociale et économique, manque de moyens pour faire le travail, etc.). Pour nombre d’enseignantes, les évaluations chiffrées ne reflètent pas la qualité du travail éducatif qu’elles effectuent, qui les animent et qui les amènent à s’investir jour après jour auprès des élèves.

Réduire ainsi leur travail à de telles évaluations chiffrées risque fort de contribuer au non-sens de l’exercice de leur métier. En outre, de telles mesures sont reconnues dans la littérature scientifique pour engendrer une dégradation de la santé mentale et susciter l’intention de quitter la profession.

Faire amende honorable et reconnaître la contribution des personnels scolaires

Monsieur Drainville, nous faisons appel à votre lucidité : votre réforme risque de plonger le système d’éducation déjà fortement fragilisé dans une situation de crise sans précédent. Il est encore temps de faire amende honorable et de retirer votre projet de loi.

Dans la foulée, et pour montrer votre réel intérêt à baser nos décisions collectives sur des « données probantes », nous vous invitons à profiter de la négociation actuelle des conventions collectives dans le secteur de l’éducation pour améliorer drastiquement les conditions de travail de celles et ceux qui s’occupent de nos enfants au quotidien, qui s’occupent de former leur esprit, de leur transmettre notre culture et les connaissances nécessaires pour favoriser leur développement et celui de la société, et qui veillent à leur bien-être au quotidien.

Voilà le geste le plus urgent à poser pour répondre aux besoins criants de notre système d’éducation.

Signataires

Simon Viviers, Ph. D., professeur, École de counseling et d’orientation, Université Laval

Nancy Goyette, Ph. D., professeure, Département de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières

Mylène Leroux, Ph. D., professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais 

Jessica Riel, Ph. D., professeure titulaire, Département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal

Céline Chatigny, Ph. D., professeure titulaire retraitée, associée au Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal

Geneviève Baril-Gingras, Ph. D., professeure titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval

Frédéric Yvon, Ph. D., professeur, Département d’administration et fondements de l’éducation, Université de Montréal

Marie-France Maranda, Ph. D., professeure titulaire retraitée, École de counseling et d’orientation, Université Laval

Louise St-Arnaud, Ph. D., professeure titulaire, École de counseling et d’orientation, Université Laval

Angelo Soares, professeur titulaire, Département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal

Jean-Noël Grenier, Ph. D., professeur titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval

Vanessa Rémery, Ph. D., professeure, Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal

Emmanuel Poirel, Ph. D. professeur, Département d’administration et fondements de l’éducation. Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal

Catherine Le Capitaine, Ph. D., professeure titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval