Ricardo Tranjan | Photo : Courtoisie
Livre

« Crise » du logement ou système efficace d’exploitation des locataires?

Un nouveau livre attaque les mythes entourant les rapports de pouvoir entre propriétaires et locataires au Canada.

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Dans son livre The Tenant Class, Ricardo Tranjan argumente que le concept de « crise » est bien mal choisi pour parler du marché du logement canadien. Selon lui, il empêche de voir ce marché pour ce qu’il est : un système d’exploitation conçu pour générer un maximum de profit aux dépens des locataires.

Le discours dominant voulant que le logement soit en « crise » est problématique, selon Ricardo Tranjan, car il empêche de considérer que les loyers trop élevés et la difficulté de trouver du logement décent sont des conséquences du fonctionnement « normal » du système. Dans son livre, M. Tranjan argumente plutôt que le marché du logement canadien est un système d’exploitation conçu pour qu’une classe – celle des propriétaires – puisse s’enrichir aux dépens d’une autre – formée par les locataires.

Il rappelle que les médias canadiens parlaient déjà de la « crise du logement » au début du 20e siècle. Or, par définition, une crise est quelque chose de temporaire avec un début et une fin.

« Aussi, parler d’une crise suggère que l’impact négatif est généralisé, mais ce n’est qu’une portion de la population qui vit l’impact négatif pendant qu’une autre en profite pour s’enrichir », ajoute-t-il.

Un discours qui sert les propriétaires

Cette fausse perception ferait même partie du problème, car elle contribue à maintenir le système en place, explique Ricardo Tranjan.

Par exemple, l’idée de « crise » aide selon lui à perpétuer l’idée que si on bâtissait plus d’habitations, la force du marché pourrait rendre le logement plus abordable. C’est l’approche qui a été préconisée par les autorités depuis plus d’un siècle, sans vraiment enrayer la « crise », souligne-t-il. « C’est vrai que la pénurie de logements aggrave le problème, mais sans elle, les loyers seraient quand même trop chers », précise-t-il.

Pour l’auteur, les propriétaires et les associations qui les représentent s’assurent aussi de conserver leur capacité de s’enrichir en influençant le discours public sur le logement.

« Parler d’une crise suggère que l’impact négatif est généralisé, mais ce n’est qu’une portion de la population qui vit l’impact négatif pendant qu’une autre en profite pour s’enrichir. »

Ricardo Tranjan

Par exemple, lorsque les comités logement demandent un meilleur contrôle du prix des loyers, les lobbys de propriétaires vont évoquer la réalité des petits propriétaires en plaçant le profit qu’ils réalisent grâce aux loyers sur un pied d’égalité avec le travail salarié, observe-t-il. « Mais on oublie que de payer une maison grâce à son travail ou de le faire en faisant payer une autre famille, ce sont deux choses fondamentalement différentes », explique-t-il.

Lutter pour le changement

Pour Ricardo Tranjan, considérer le problème du logement dans l’angle de la lutte des classes permet aussi de mettre en lumière l’importance des actions menées par les organisations de locataires dans la défense de leurs droits. Son livre donne d’ailleurs plusieurs exemples de moments où les locataires ont pris conscience de leurs conditions et se sont organisé·es sur une base locale, un peu partout au pays, pour mener des luttes qui ont mené à des gains durables.

Un effort qui continue aujourd’hui et qui donne espoir à l’auteur de voir la situation s’améliorer dans le futur. « Au Québec, la situation est d’ailleurs très intéressante, car il y a non seulement de nombreux comités locaux, mais aussi des rassemblements nationaux [le FRAPRU et le RCLALQ] qui peuvent amener la lutte à un autre niveau », souligne-t-il.

The Tenant Class
Ricardo Tranjan, Toronto, Between the lines, 2023, 126 pages

En librairie le 2 mai.

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