Pour la journée trans de la vengeance
Trans day of revenge!
Remember those
Dead and gone
But don’t let the media set us up for harm
HRC, selfish fucks
Yuppie gays threw us under the bus
– G.L.O.S.S., Trans Day of Revenge
C’est obligé, chaque année avec le printemps s’annonce aussi la Journée de la visibilité trans, ce vendredi le 31 mars. Créé comme contrepoint à la Journée du souvenir trans, cet événement vise d’abord et avant tout à élever une communauté qui n’en peut plus de compter ses morts. Un peu d’optimisme, particulièrement pour les jeunes, en mettant de l’avant les vies et les accomplissements des survivant·es de l’oppression cishétéropatriarcale, ça se prend bien au sortir de l’hiver et de sa dépression saisonnière. C’est une occasion de reprendre le contrôle du récit.
Ça, c’est en théorie.
Parce qu’en pratique, les moyens nous manquent pour dicter le récit : les cis contrôlent tout. Les personnes trans se rencontrent trop souvent à travers le regard déformé du cissexisme. À travers les médias, le cinéma ou la littérature, ce sont les représentations dégradantes de la culture de masse qui nous forment à la honte.
Pas plus tard qu’en mai 2021, Hugo Meunier publiait Olivia Vendetta et l’an passé, c’était Luc Picard qui nous servait le personnage de Dolly dans son film Confessions : deux tueurs déguisés en femme. Pas surprenant que le journaliste à La Presse Tristan Péloquin fasse une fixation sur le péril des hommes en robes dans les prisons pour femmes.
Le véritable sens de la politique de la visibilité, c’est de pouvoir se voir. Entre nous.
On pourrait quand même se réjouir d’une meilleure représentation – Xavier Dolan a même confié un rôle à une femme trans, à peine une décennie après Laurence anyways –, mais même là, c’est nous qui payons le prix de cette présence dans l’espace public.
Parlez-en à Fae Johnstone, qui a eu le plaisir de jouer les porte-parole pour Hershey Canada pour sa campagne du 8 mars. Pendant que la compagnie engrangeait les points wokes pour avoir mis de l’avant une femme trans lors de la journée où normalement, nous, on évite les médias sociaux et les rassemblements publics, Johnstone n’arrivait pas à endiguer la vague de haine qu’elle recevait en messages privés sur Twitter.
La visibilité sans la sécurité
Le 23 avril prochain, le Réseau des lesbiennes du Québec organise une campagne en nous invitant à identifier des femmes aimant les femmes dans des publications sur les réseaux sociaux. Je trouve ça un peu naïf.
Je ne suis pas à l’aise d’entretenir l’idée qu’on évolue dans une société complètement sécuritaire pour les personnes queers et trans. On fait croire aux gens qu’être out, c’est sans conséquence, et illes en viennent à prendre des risques inconsidérés au regard des circonstances.
Je connais des femmes trans qui préfèrent être stealth (cacher le fait qu’elles sont trans) dans certains aspects de leur vie et je ne les tag pas sur les médias sociaux. Ça ne veut pas dire que je ne les admire pas ou que je souhaite invisibiliser leur travail dans la communauté.
La visibilité n’est jamais sans conséquence.
On pourrait quand même se réjouir d’une meilleure représentation, mais nous payons le prix de cette présence dans l’espace public.
Moi-même, je suis stratégique dans ce que je laisse voir à l’œil cis. Si je suis visible et fière sur les réseaux sociaux ou en public avec mes ami·es, je suis franchement plus discrète quand je me déplace seule.
Quand un homme me siffle dans la rue, je ne dis rien – ce qui est franchement contre nature, pour être honnête –, parce que je ne peux pas laisser entendre ma voix sans risquer une escalade de violence. Je suis gentille avec ceux qui arrêtent leur voiture, ils sont assez polis et arrêtent de me suivre si je leur dis qu’un autre client m’attend. Présumée cis ou travailleuse du sexe, je suis invisible parce que je suis à ma place.
Mais la conséquence recherchée de la politique de la visibilité, c’est de pouvoir se voir. Entre nous.
C’est ce qui fait cet équilibre précaire dans la place qu’on occupe dans l’espace public, entre la fascination cis et notre besoin de nous rassembler.
Le besoin de visibilité et de connexion est fondamental, il n’y a pas de doute là-dessus. Néanmoins, la politique de visibilité promue en ce moment dans les cercles assimilationnistes est au mieux angélique et au pire carrément dangereuse. Il est franchement irresponsable de simplement répéter les litanies de l’« authenticité » et de laisser la jeune génération s’exposer à toutes les violences en leur faisant croire que les adultes vont les protéger.
La bonne volonté des allié·es cishétéros ne peut se substituer à un solide réseau de support intra-communautaire, ce qui est généralement inaccessible aux jeunes.
À qui bénéficie la visibilité?
Par ailleurs, il est bon de rappeler que seul·es les plus privilégié·es peuvent bénéficier d’un certain soutien. La plupart d’entre nous sont issu·es de milieux pauvres, de familles immigrantes ou racisées, des régions ou des réserves. Pendant que quelques individus – souvent hétéros, blanc·hes et cis-passing – bénéficient clairement de la visibilité accrue des personnes trans dans l’espace public, la vaste majorité d’entre nous vit une violence accrue.
Nos stratégies de résilience s’effondrent et nous devenons encore plus vulnérables.
Les politiques de visibilité et de représentation sont fondées sur des moyens de diffusion qui nous échappent : mettons sur pied nos propres réseaux de diffusion.
Là où notre invisibilité relative nous aidait à trouver un appartement avec un peu de maquillage et les bons vêtements, il faut maintenant compter sur l’efficacité des campagnes d’éducation. Trop souvent, les personnes trans – et en particulier les femmes – en viennent finalement à dépendre de leur famille, leurs proches, leurs conjoint·es ou leurs clients pour assurer leur sécurité matérielle. Une situation qui les expose aux abus et à la violence.
Cette situation n’est pas nouvelle, mais plus de visibilité ne l’améliore pas, elle la dégrade.
Organiser la riposte
Le constat peut paraître pessimiste, mais il est surtout stratégique. En effet, je ne nous invite pas à nous cacher pour survivre, mais plutôt à investir davantage des stratégies collectives de résilience.
Les politiques de visibilité et de représentation sont fondées sur des moyens de diffusion qui nous échappent : mettons sur pied nos propres réseaux de diffusion.
Plus encore, la visibilité accrue dont nous sommes victimes augmente notre précarité matérielle : mettons sur pied des réseaux de solidarité, de l’aide mutuelle jusqu’aux cessions de bail, en passant par l’achat et la distribution d’hormones.
Nourrissons ces réseaux qui nous rendent visibles les un·es aux autres et qui augmentent effectivement notre capacité d’action collective. Les cis ne feront pas notre libération à notre place.
Pour souligner la Journée de la visibilité trans
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de naissance de Mira Bellwether, zinester transféministe américaine bien connue décédée d’un cancer en décembre dernier. Si vous lisez l’anglais, allez jeter un coup d’œil à son opus magnum.
Mieux encore, allez donner un coup de pouce aux initiatives qui soutiennent les personnes les plus précaires de la communauté :
– ASTTeQ (choisir le programme dans le menu déroulant) – soutien en santé sexuelle et transaffirmative, soutien par les pair·es, aux immigrant·es, aux travailleur·euses du sexe, éducation;
– Black Healing Fund – aide mutuelle pour personnes noires à faible revenu
– Black Indigenous Harm Reduction Alliance – réduction des méfaits, aide mutuelle et support par les pairs autochtones et noir·es
– Comité autonome du travail du sexe – défense de droit des travailleur·euses du sexe
– La Mandragore et Dick’s Lending Librairy – bibliothèques communautaires
– TRAPs – collectif autonome de personnes affectées par la transmisogynie, aide mutuelle
À cela s’ajoutent les organismes communautaires comme Trans Estrie, Trans Outaouais, Trans MCD, Alliance arc-en-ciel Québec, Centre for Gender Advocacy, Euphorie dans le genre, Enfants Trans, Divergenre, etc., dont une liste non exhaustive se trouve ici.