Irak : l’anniversaire d’un crime contre l’Humanité
L’invasion de l’Irak par les États-Unis a-t-elle pavé la voie pour l’invasion russe de l’Ukraine?
C’est sans grande surprise qu’on a pu constater la couverture mollassonne du 20e anniversaire de la guerre en Irak au cours des deux dernières semaines dans les grands médias. Certains s’y sont pris d’avance pour nous montrer à quel point ils refuseraient d’aller jusqu’au bout de l’exercice logique de cette commémoration : la dénoncer comme un crime contre l’Humanité.
La Presse publiait entre autres un billet de Charles-Philippe David, fondateur et directeur de la Chaire Raoul-Power-Corp, qui décrivait cette opération militaire illégale comme une « erreur ». Joli euphémisme pour dépeindre la mort d’un demi-million de civil·es, tué·es majoritairement par les Américains et leurs complices britanniques.
Mais bon, le propre de ces politologues à gages demeure leur capacité à nous raconter le monde en mettant de côté le facteur humain comme s’il s’agissait d’une vulgaire donnée comme les autres.
Or, l’invasion de l’Irak devrait être traitée pour ce qu’elle est : un crime contre l’Humanité.
La frénésie afghane
Un an et demi avant le début de ce nouveau chapitre de cette troisième guerre mondiale que fut la « guerre contre le terrorisme », les attentats du 11 septembre 2001 avaient inauguré un vaste changement de paradigme géopolitique. L’OTAN, en vertu de son article 5, a entrepris de déclarer la guerre au « terrorisme », donc à une idée, plutôt qu’à un pays en particulier.
Jeune soldat du Régiment de Maisonneuve fraîchement promu au grade de caporal, je venais tout juste de recevoir la confirmation que je me rejoindrais en renfort à titre de volontaire pour la mission en Bosnie du groupement tactique du 2e bataillon du Royal 22e Régiment.
Les attentats du 11 septembre 2001 avaient inauguré un vaste changement de paradigme géopolitique : la guerre au « terrorisme », donc à une idée, plutôt qu’à un pays en particulier.
Plus de 20 ans plus tard, je me souviens encore de la commotion qu’a provoquée la nouvelle des attaques contre le World Trade Center, générant quasi instantanément autant de questions que de rumeurs.
La mission en Bosnie allait être annulée pour nous envoyer en Afghanistan, disait-on. On allait sous peu recevoir un ordre de mobilisation générale, murmurait-on. Un sergent de mon unité harcelait pratiquement le personnel du QG régimentaire pour savoir « on s’en va où? [sic] ».
La frénésie avait pris le pas sur la logique militaire, à savoir que les branle-bas de combat sont d’une indescriptible lenteur, surtout au Canada, et comme d’habitude, la machine à rumeurs se révélait toujours aussi puissante, source intarissable de scénarios des plus farfelus, mais dans lesquels on se complaisait volontiers.
Finalement, nous sommes parti·es en Bosnie comme prévu et c’est une poignée de soldats des forces spéciales qui sont parti·es en Afghanistan, en plus d’un bataillon d’Edmonton – ce dernier étant revenu avec quatre soldats en moins, tués parce qu’un pilote de chasse américain ne savait pas lire un briefing de mission.
Une guerre fabriquée de toutes pièces
Mais je m’égare, surtout que le Canada n’a finalement pas envoyé son armée en Irak. Du moins pas officiellement.
Pourquoi donc insister tant à vous parler du 11 septembre 2001?
Parce que quelques jours après l’attaque, le Secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld commandait au conseiller spécial du président en matière de terrorisme Richard Clarke de trouver un lien avec le régime de Saddam Hussein.
Il n’y en a pas, répondit Clarke.
Déjà, avant les attaques, il avait alerté la Conseillère pour la sécurité nationale Condoleezza Rice sur les risques posés par al-Qaïda à l’étranger et en sol américain, un signal qui fut volontairement ignoré – tant pis pour les civil·es –, histoire d’avoir un casus belli pour déchaîner la puissance militaire de l’Empire sur le Moyen-Orient. C’est que l’intervention militaire était planifiée depuis déjà longtemps sous les auspices du Project for a New American Century, un think tank néoconservateur où ont siégé Bush père et… Dick Cheney.
Trouvez-en un, ordonna Rumsfeld.
De la même manière, ce dernier avait chargé le diplomate Joe Wilson de « prouver » que le régime de Saddam Hussein cherchait à se procurer de l’uranium. Wilson a refusé de se parjurer (contrairement au Secrétaire d’État Colin Powell, qui est allé faire la potiche devant le Conseil de sécurité de l’ONU à brandir ses fausses fioles d’anthrax).
Le conflit irakien fut motivé par la soif inapaisable pour le pétrole et par l’exceptionnalisme américain.
Pour se venger, le vice-président Cheney a orchestré le dévoilement que la conjointe de Wilson, Valerie Plame, était une agente de la CIA, ce qui aurait dû être considéré comme un acte de trahison, par ailleurs. (Googlez« affaire Plame », je vous souhaite beaucoup de plaisir indigné.)
Le reste appartient à l’Histoire : une insurrection qui a finalement vaincu les armées de l’Empire, l’émergence de Daech, le prolongement sans fin de la « guerre contre le terrorisme », la poursuite des objectifs de l’OTAN en Libye et en Syrie, la renaissance colonialiste en Afrique, l’expansion des complexes militaro-industriels et les dérives sécuritaires partout en Occident.
Sans parler, évidemment, de l’impunité dont jouissent les dirigeants politiques au pouvoir durant toutes ces années.
Guerre en Irak, précurseure de l’invasion de l’Ukraine?
C’est à dessein que cette proposition se veut tapageuse, car les liens directs entre les deux sont au mieux ténus, au pire inexistants. Mais la décision unilatérale des États-Unis d’envahir l’Irak peut très certainement servir de précédent.
D’un côté, le conflit irakien fut motivé par la soif inapaisable pour le pétrole et par l’exceptionnalisme américain. De l’autre, en Ukraine, par une ambition semblable de contrôler les ressources énergétiques de toute une région du globe, soutenue par le fantasme de la Grande Russie.
Dans les deux cas, des crimes contre l’Humanité.
La décision unilatérale des États-Unis d’envahir l’Irak peut très certainement servir de précédent.
Mais les États-Unis comme le reste de l’Occident font croire à un avantage moral sur le régime de Vladimir Poutine qui devrait, selon eux, justifier une politique agressive contre la Russie.
Or il n’en est manifestement rien.
Les États sont amoraux et n’agissent que selon leurs intérêts, nous disent les principes fondamentaux du réalisme politique en relations internationales.
Les peuples ne le sont pas. Appelons-en donc à leur sagesse commune, dirait certainement George Orwell, histoire que justice se fasse contre ces fossoyeurs d’Humanité.