Québec, la ville qui refuse de lutter contre le racisme

Depuis le meurtre de Georges Perry Floyd survenu le 25 mai 2020 à Minneapolis et les protestations contre la brutalité policière qu’il a enclenchées à travers le monde, plusieurs villes québécoises ont décidé de lutter contre le racisme… sauf la Ville de Québec.

Le 22 février 2022, lors d’une présentation donnée par la Ville de Québec et son Service de police (SPVQ) à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, Mme Iréna Florence Harris, l’experte-conseil en diversité, équité et inclusion auprès du maire Bruno Marchand, a déclaré que la Ville de Québec ne lutte pas contre le racisme : elle fait plutôt la promotion du « vivre-ensemble » et de la « diversité ».

En mai 2021, déjà, elle jetait un doute sur la réalité du profilage racial policier à Québec. « J’ai toujours eu de bonnes relations avec [les policiers], ils ont toujours été très respectueux. Je ne pouvais pas m’imaginer être la seule personne noire à qui ça arrive. » De son expérience personnelle, elle tire une généralisation.

Dans Le Devoir, toujours parlant de la police de Québec, elle soutient qu’« il n’y a personne qui est en train de se faire abattre dans les rues. » Quelques mois après cette déclaration, le 27 novembre 2021, le SPVQ s’est retrouvé au cœur d’un scandale national et accusé de racisme systémique après le passage à tabac et l’arrestation de jeunes afro-descendants sur la Grande Allée.

Un problème bien réel

Le profilage racial policier est l’une des manifestations du racisme les plus dénoncées à Québec. Il se traduit par une interpellation sans motif, par un contrôle routier d’un conducteur noir au volant d’une voiture de luxe, par un contrôle d’identité questionnable, etc.

La diversité n’est pas l’opposée du racisme : elle est plutôt la condition de l’existence du racisme.

Lors de la manifestation en soutien au mouvement Black Lives Matter tenue le 7 juin 2020 devant l’Assemblée nationale, des jeunes racisé·es et autochtones ont témoigné des expériences de profilage par des agents du SPVQ. Pour Moussa Bienvenu Haba, doctorant à l’Université Laval et participant à cette manifestation, « on sent la différence quand on sort le soir. On devient tout de suite un risque, on va se faire contrôler plus que la normale », racontait-il au Journal de Québec. « Moi, j’ai beaucoup réduit ma night life à cause de ça. »

S’obstiner à nier

Acculés, la Ville de Québec et le SPVQ ont fini par admettre l’existence de « biais inconscients » au sein de la police sans reconnaître le profilage racial. Questionnée à savoir si cette admission n’est pas un aveu de l’existence du profilage racial, Mme Harris persiste : « Les biais inconscients, ce sont les raccourcis que notre cerveau prend pour comprendre le monde. On en a tous. On n’a pas à se sentir mal pour ça. »

Le comble est que Mme Harris a été recrutée à l’automne 2020 grâce au mouvement Black Lives Matter contre la brutalité policière. C’est dans le contexte de ce mouvement que l’ancien maire de Québec, Régis Labeaume, l’a nommée afin de le conseiller sur les discriminations visant les communautés non blanches.

Toute solution contre le racisme passe par un véritable partage du pouvoir.

Les limites de la diversité et l’inclusion

Cela dit, au-delà de la personne de Mme Harris, c’est l’approche de la Ville de Québec en la matière qu’il faut questionner. Au lieu d’une approche antiraciste politique, la Ville de Québec préfère parler de diversité et de vivre-ensemble, une approche qui peut être pertinente pour l’inclusion des personnes immigrantes, par exemple, mais ne l’est pas contre le racisme.

Celui-ci est dès lors compris de manière réductrice, comme une croyance ou une attitude qu’on peut changer par la sensibilisation en emmenant les gens à se connaître au travers d’activités socio-culturelles, sportives, etc.

Or, la diversité n’est pas l’opposée du racisme : elle est plutôt la condition de l’existence du racisme. Le racisme naît dans une société plus ou moins diversifiée.

La Ville de Québec ne lutte pas contre le racisme : elle fait plutôt la promotion du « vivre-ensemble » et de la « diversité ».

En outre, cette approche est inefficace à juguler le racisme. Pour l’historien Ibrahim X. Kendi, en matière de lutte contre le racisme, « la persuasion par l’éducation et la morale n’est pas seulement une stratégie vouée à l’échec. C’est une stratégie suicidaire. »

Enfin, cette approche qui traite à la fois de l’immigration, des déficiences physiques, de l’accessibilité universelle, du sexisme, du racisme, etc. nie la spécifié de chaque discrimination et propose une solution unique pour des phénomènes variés. Qui trop embrasse mal étreint, dit l’adage.

Partager le pouvoir

En conséquence, il faut s’en départir et envisager le racisme comme un phénomène politique qui répartit inégalement les droits et les pouvoirs politiques et économiques au sein d’une collectivité diversifiée. Il s’agit, selon Charles W. Mills, d’un régime qui hiérarchise la diversité en « infériorisant » les non-Blanc·hes à qui les droits et les privilèges sont refusés, et en accordant une supposée supériorité aux Blanc·hes qui jouissent des droits et des privilèges.

Il s’en suit que toute solution contre le racisme passe par un partage du pouvoir.

La Ville de Québec est-elle de mauvaise foi en optant pour l’approche simpliste de la diversité? Peut-être qu’elle confond de bonne foi la lutte antiraciste et celle contre d’autres phénomènes d’exclusion.

L’actuel maire de Québec, Bruno Marchand, peut se démarquer de son prédécesseur en optant pour une approche antiraciste efficace axée non sur l’interconnaissance individuelle, mais sur la question du pouvoir.

Que cette Semaine d’actions contre le racisme en soit une d’éveil à l’antiracisme politique à la mairie de Québec!