Votre voiture est une arme

CHRONIQUE | Dans une année, la voiture cause autant de morts au Québec que les armes à feu dans le Canada entier.

Le drame d’Amqui a secoué le Québec ces derniers jours, et avec raison. La gratuité apparente du geste et le délit de fuite subséquent viennent nous ébranler dans notre sentiment de sécurité. Il est encore tôt pour disséquer les intentions du conducteur, malgré les informations qui commencent à sortir. Plutôt, il faudrait replacer ce phénomène dans un cadre plus large.

À la fin février, un autre délit de fuite mortel a suscité l’émoi. Un jeune planchiste de 22 ans a succombé à ses blessures après avoir été heurté à l’angle des rues Sainte-Catherine et de Lorimier à Montréal. Le conducteur a pris la fuite et, aux dernières nouvelles, il n’a pas été arrêté par les forces policières.

Ces deux événements survenus en moins de trois semaines illustrent une tendance lourde : l’augmentation des délits de fuite sur nos routes. Entre 2021 et 2022, ce nombre a bondi de 13 %.

Ce chiffre n’en est qu’un parmi de nombreux qui témoignent de différentes tendances inquiétantes pour la sécurité sur les routes : croissance du parc automobile plus rapide que celle de la population, popularité écrasante des VUS et camions légers (dont la force d’impact, la taille et la visibilité représentent des dangers accrus pour les piéton·nes et cyclistes), etc.

Mais un autre chiffre devrait retenir notre attention : celui sur le nombre de décès liés aux collisions avec des voitures. En 2022, 291 personnes ont perdu la vie à cause de la voiture au Québec seulement, contre une moyenne annuelle de 253 pour les cinq années précédentes – une augmentation de 15 %.

Pour mettre ce chiffre en perspective, considérons le fait que 297 personnes sont mortes sous les projectiles d’armes à feu en 2021. Dans l’ensemble du Canada.

Autrement dit, dans une année, la voiture cause, grosso modo, autant de morts au Québec que les armes à feu dans le Canada entier.

Or, personne n’oserait affirmer que l’on ne peut rien faire pour réduire, voire éliminer, les morts par armes à feu. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existe un cadre légal très strict entourant leur usage – un cadre que d’aucuns appellent à renforcer.

Mais en est-il de même pour la voiture? Les délits en lien avec celle-ci sont-ils traités, juridiquement et socialement, avec le même sérieux que ceux en lien avec les fusils? On peut en douter.

Dans une année, la voiture cause autant de morts au Québec que les armes à feu dans le Canada entier.

Car, non, les morts dues à la voiture n’ont rien d’une fatalité. Tant de choses peuvent être faites, de manière directe ou indirecte, pour s’attaquer à ce problème.

Dans le cas d’Amqui, par exemple, on a évoqué des enjeux de santé mentale qui pourraient être à l’origine du crime. Or, si la Loi canadienne sur les armes à feu prévoit qu’une personne souffrant de certains types de maladie mentale ne peut détenir de permis de possession et d’acquisition d’une arme, rien d’équivalent n’existe pour les voitures.

Le ministre des Transports François Bonnardel a évoqué la possibilité d’agir sur ce plan, mais il a aussitôt refermé la porte. Il y a sans doute des raisons de faire preuve de prudence avec une telle avenue, sans non plus la rejeter. Mais n’y a-t-il pas surtout dans ce recul le signe d’une culture de la voiture qui nuit à notre sécurité collective?

La voiture antisociale

Il m’est arrivé à quelques reprises de conduire un pick-up. J’ai le souvenir très vif d’être au volant d’un F-250 et de sentir le moteur ronronner au moindre effleurement de la pédale d’accélérateur.

Mais surtout, j’étais préoccupé par la sensation qui m’habitait : perché dans ma cabine, je ne sentais presque pas les imperfections (pourtant nombreuses) de la route et je n’avais qu’une vision très limitée de mon environnement immédiat. J’étais effrayé à l’idée de ne pas apercevoir un enfant dans mon angle mort et de lui rouler dessus.

Heureusement, une telle chose n’est pas arrivée, mais cette expérience – moi qui ai appris à conduire dans une petite Nissan Stanza 1988, très basse et à la suspension plutôt sèche – m’a éveillé à l’égard des angles morts bien trop humains que l’on peut avoir au volant.

Il est temps de prendre toute la mesure du danger que représentent les voitures sur nos routes.

En l’absence de toute intention criminelle, il est donc possible de développer une mentalité d’habitacle : la personne au volant est coupée – sensoriellement, intellectuellement, psychologiquement – du monde extérieur.

Ne trouverait-on pas là l’origine de différents comportements antisociaux adoptés par un grand nombre d’automobilistes? Accélérer aux feux jaunes, brûler les feux rouges, empiéter sur les traverses piétonnes, faire des manoeuvres dangereuses sans tenir compte des autres usager·ères : tous ces comportements témoignent d’une aliénation, partielle du moins, par rapport à la réalité du partage des voies publiques.

Il est temps de prendre toute la mesure du danger que représentent les voitures sur nos routes. Reconnaître que, tout comme les armes à feu, elles peuvent mener à la mort d’êtres humains – que cela soit volontaire ou non.

C’est une responsabilité des personnes qui prennent le volant – le respect du Code de la route est un strict minimum –, mais c’est également une responsabilité du gouvernement québécois, pour la mise en place d’un cadre légal (et punitif) conséquent, et des administrations municipales pour un aménagement de l’espace qui mène à réduire les comportements délinquants et les risques d’accident.

Une responsabilité collective.

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