Réforme du droit de la famille : l’hétérosexualité au bord de l’effondrement

CHRONIQUE | Voilà un exercice conservateur qui vise à défendre une vision traditionnelle de la famille contre les modèles émergents associés aux communautés 2SLGBTQIA+, comme la gestation pour autrui et la pluriparentalité.

Après la catastrophe du projet de loi 2, Simon Jolin-Barrette revient à la charge pour mettre à jour le droit de la famille au Québec. Un exercice conservateur qui vise à défendre une vision traditionnelle de la famille contre les modèles émergents principalement pratiqués par les communautés 2SLGBTQIA+, comme la gestation pour autrui et la pluriparentalité.

Comme pas mal de personnes queers et trans, je n’entretiens pas une relation très serrée avec ma famille. C’est dû à un mélange de facteurs, ça oscille de la transphobie ouverte à un sentiment de distance infranchissable quant à nos vies respectives.

Malgré ça, il m’arrive d’avoir des moments de connexion de temps en temps. Ça m’est arrivé récemment avec une cousine.

On ne s’était pas vues depuis la mort de ma grand-mère, il y a treize ans. On a repris contact sur Instagram il y a six mois et mon arrêt de travail m’a semblé un bon prétexte pour nous prévoir un verre. On s’est retrouvées au Vices & Versa un jeudi soir et on a jasé. Tout de suite, ça a cliqué. C’est devenu rapidement un cœur à cœur super vulnérable sur nos enjeux, nos problèmes, nos vies compliquées.

De tous les sujets difficiles qu’on a abordés ensemble, celui de la reproduction était particulièrement sensible. Je suis stérile et elle poursuit des démarches en fertilité.

Ça a été un gros deuil pour moi, dès le début de ma transition et même avant. Je n’ai jamais eu l’impression que c’était mon choix : mon corps ne peut pas porter d’enfant.

Si je fonde une famille, ça sera parce que quelqu’un a bien voulu se taper une grossesse.

Pour la moitié de l’humanité, devenir parent demande toujours une gestation par autrui.

La grosse différence entre un père et moi, c’est l’inscription dans le patriarcat : je suis obligée de reconnaître le travail gestatif, mais à eux, il leur est dû.

Il n’y a rien d’acquis dans ma parentalité. Si je fonde une famille, ça sera parce que quelqu’un a bien voulu se taper une grossesse, que ce soit ma blonde ou une autre personne.

Et pour le bien de l’enfant, il faudra que notre entente soit claire quant à nos rôles et obligations. Dans l’ensemble, je m’estime capable de bien gérer une coparentalité, mais comme on n’est jamais à l’abri de circonstances exceptionnelles, pourquoi ne pas l’inscrire dans un contrat? En fait, ça sera bientôt exigé si je recours à la gestation pour autrui.

Pour la rémunération du travail gestatif

La semaine prochaine, l’Assemblée nationale va commencer l’étude du projet de loi 12, qui vise à actualiser le droit de la famille, notamment pour encadrer la gestation pour autrui (GPA). Si un gouvernement conservateur comme celui de la CAQ s’intéresse à des questions comme la GPA, c’est uniquement en raison d’une menace perçue quant à la marchandisation du corps des femmes. Un argument que lui souffle à l’oreille son lobby féministe réactionnaire préféré.

Cette inquiétude quant à la soumission des corps gestants à des impératifs marchands est pourtant non seulement légitime, mais essentielle pour renforcer l’autonomie corporelle des personnes aptes à porter un enfant (notez que je n’utilise pas « personne avec un utérus » parce que les personnes infertiles ou ménopausées ne sont pas concernées).

Il faut libérer les corps du pouvoir du père en donnant réellement l’autonomie à toutes les personnes qui accomplissent un travail gestatif.

Toutefois, limiter notre réflexion sur l’appropriation du corps d’autrui à la seule GPA est une faillite intellectuelle pour n’importe quelle féministe qui se respecte. Ce qui est en jeu ici n’est pas l’appropriation du corps des femmes à travers leur marchandisation : c’est le patriarcat au sens le plus primaire, c’est le pouvoir du père.

GPA ou non, les personnes qui portent l’enfant d’un·e autre se retrouvent soumises à son pouvoir et à ses engagements explicites ou non.

Si on tient vraiment à libérer la gestation des chaines du capitalisme, il ne faut pas seulement éviter sa marchandisation en encadrant la GPA. Il faut libérer les corps du pouvoir du père en donnant réellement l’autonomie à toutes les personnes qui accomplissent un travail gestatif.

Une femme hétérosexuelle qui se retrouve dépendante financièrement de son mari pendant sa grossesse vit une précarité inacceptable aux yeux d’un féminisme bien pensé : pourquoi n’est-elle pas soutenue et protégée? Pourquoi accepter qu’elle soit soumise à un environnement propice à la violence économique et domestique?

Plutôt que d’empêcher la rémunération de la GPA comme le propose le projet de loi 12, pourquoi ne pas, au contraire, rémunérer tout travail gestatif?

Tuer le père par l’entente de coparentalité

Un des grands absents de cette réforme, c’est la pluriparentalité.

Quand il est questionné sur ce manque flagrant, Simon Jolin-Barrette affirme qu’au Québec, une famille, c’est deux parents, c’est un « choix de société ». Outre le fait que l’affirmation est factuellement fausse – il existe des familles pluriparentales –, elle nous évoque les tirades réactionnaires des dernières décennies pour défendre l’hégémonie de la famille nucléaire : le divorce nuit au développement des jeunes, une femme seule ne peut élever un enfant, une famille c’est un père et une mère, etc.

Et le ministre pousse le ridicule jusqu’à mentionner le manque de données concernant le bénéfice de la pluriparentalité pour les enfants. J’attends encore les études démontrant hors de tout doute la supériorité du modèle familial d’après-guerre pour le développement psychosocial des jeunes – surtout queer et trans.

À chaque réforme du droit de la famille, c’est la même chose : les modèles familiaux évoluent, la société change et le droit s’adapte. Le législateur est à la remorque de la société civile et, plutôt que de faciliter et soutenir l’émergence de nouvelles pratiques, il préserve et consolide ce qu’il peut d’un patriarcat affaibli.

Il est temps que l’on reconnaisse qu’il n’y a rien d’évident ou de naturel à la famille nucléaire hétérosexuelle patriarcale. La preuve tient dans l’appareillage juridique sophistiqué qui permet le maintien d’une hétérosexualité politique au bord de l’effondrement.

Les gestatrices n’ont pas à être des mères et les géniteurs à être des pères : ce sont des rôles sociaux.

Exigeons donc une entente de coparentalité pour tout projet parental, même le plus traditionnel, et prenons collectivement la responsabilité d’assurer la sécurité matérielle des personnes gestantes.

Il n’y a rien d’évident ou de naturel à la famille nucléaire hétérosexuelle patriarcale.

Tuons le père pour de bon. Reconnaissons que l’obsession pour le maintien de la lignée est fondée sur un système d’échange des femmes et d’accaparement des ressources par les hommes.

Pourquoi ne pas nous inspirer du mouvement pour le salaire au travail ménager et reconnaître que la reproduction ne relève pas que de simples choix individuels. Si elle est rassurante, l’abnégation familiale exigée aux mères n’est certainement pas libératrice.

La sagesse populaire dit que ça prend un village pour élever un enfant : il faudrait peut-être commencer à le bâtir.

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