La guerre n’est pas une vulgaire partie de Risk!
Je voulais, à la suggestion de mon rédacteur en chef, vous parler de la Chine et des tentatives de notre appareil étatique militaro-sécuritaire de nous convaincre d’un nouveau « péril jaune » (oui, c’est un terme épouvantable, et je l’emploie ici à dessein).
La Chine nous espionne, nous espionnons la Chine. Les Russes aussi et même les pays « alliés » s’espionnent entre eux!
Ce grand tango géopolitique se danse depuis la naissance des systèmes politiques qui nous encarcanent et qui nous imposent de défendre l’intérêt de celui sous lequel nous sommes né·es, quid de son mépris pour l’humanité la plus élémentaire et universelle.
Mais entretemps, une horrible catastrophe s’est abattue et est venue changer mes plans : l’actualité, ce tourbillon incessant qui nous condamne plus souvent qu’autrement, nous scribouillards, à la réaction. Cette actualité qui, chaque jour ou presque, nous ramène en Ukraine.
Dans mon cas, cette réaction vient invariablement avec le ressassement de douloureux souvenirs qui me ramènent sur les champs de bataille de la Bosnie, de l’Afghanistan et du Mali, pour ne nommer que ceux-là.
Je songe de nouveau aux horreurs de ces guerres dont je fus le malheureux témoin – dans le cas de mon passage en Bosnie, six ans s’étaient écoulés depuis la signature des Accords de Dayton qui ont mis à la guerre civile qui a à jamais marqué les Balkans, mais l’omniprésence des cicatrices toujours ouvertes dans le territoire et ses peuples demeuraient tout aussi évidentes.
La guerre n’est pas une partie de Risk!
Plus tôt cette semaine, j’écoutais au 98,5 FM le topo de mon vieil ami le journaliste Fabrice de Pierrebourg, que je considère comme le journaliste mainstream le plus crédible et le plus intéressant quand vient le temps de décrire le quotidien d’un pays en guerre – toujours humain, très factuel, à des années-lumière des coûteux exercices de propagande auxquels nous soumettent la télé et la radio de nos impôts.
Un nécessaire contraste à ce rituel de plus en plus vulgaire « d’analyse » où des politologues fraîchement sorti·es de leur bureau ou d’un petit 5 à 7 de département vous parlent de la guerre – maintenant c’est l’Ukraine, mais ils poseront leur grille biaisée sur n’importe quel conflit – comme s’il s’agissait d’une partie de Risk.
C’est avec son regard nuancé, propre aux véritables baroudeurs, que Fabrice de Pierrebourg a pu revenir sur la pluie de bombes russes qui s’est abattue sur des infrastructures civiles en Ukraine, de même que sur les conditions de détention pour les prisonniers de guerre ukrainiens.
Les mots d’un ex-prisonnier, rapportés par Fabrice de Pierrebourg, sont sans équivoque : « Les Russes, ce sont des animaux, des brutes ».
À partir d’un tel constat, on peut prendre un de ces deux chemins : acquiescer sans nuance ou prendre ces propos comme étant de la désinformation et de la propagande anti-russe.
Non, je vous ai menti – il existe une troisième voie.
Déshumanisation 101
La cruauté russe envers les prisonniers ukrainiens décrite dans le reportage m’a d’abord, immédiatement, fait penser aux scandales des prisons militaires américaines d’Abou Ghraib en Irak et de Guantanamo, deux dépotoirs des droits humains où des crimes contre l’Humanité commis par les États-Unis resteront à jamais impunis.
Mais les Américains ne s’en excuseront jamais et vont traiter les Russes de criminels – ce qu’ils sont, par ailleurs, on ne le dira jamais assez, surtout dans un environnement où la moindre critique de la trame narrative officielle vous vaut de ridicules accusations d’être un pantin à la solde de Vladimir Poutine.
La machine de guerre, lorsqu’elle se prépare, soumet ses soldats et ses populations à un vaste exercice de déshumanisation de « l’ennemi ».
Je garde en mémoire ces innombrables séances de tir sur une cible conçue pour ressembler à « l’ennemi », où j’ai écoulé des centaines d’heures et autant de balles de fusil. Ajoutez à cela une bonne dose d’illusions de grandeur, d’exceptionnalisme et de supériorité morale inculqués aux soldat·es pour rendre acceptable cette grande entreprise mortifère qui broie les âmes de ses rouages inférieurs au bénéfice de ceux qui en actionnent les leviers.
Russe, ukrainien ou américain, le résultat est le même : l’éternelle réincarnation de la banalité du Mal, la différence cette fois étant que les rapports de Human Rights Watch et d’Amnistie internationale sur les exactions ukrainiennes dans le Donbass sont maintenant relégués à l’Index.
Dès lors qu’on reconnaît cet état de fait, on s’engage sur la troisième voie, via laquelle on peut travailler à faire cesser ces guerres et à retirer le pouvoir aux psychopathes qui le détiennent.