Le 8 mars dernier, le premier épisode d’une série revisitant l’affaire Tremblay c. Daigle a été rendu disponible sur la plateforme Crave. Il est encore tôt pour déterminer si la série atteindra les objectifs qu’elle s’était fixés, mais au-delà de plusieurs qualités narratives et esthétiques déjà observables, souhaitons que Désobéir : le choix de Chantale Daigle serve de puissant rappel comme quoi l’accès à l’avortement est pavé de luttes très récentes.
La première scène de la série remémore déjà combien l’année 1989 a frappé fort en termes d’attaques aux droits des femmes, au Québec. Décorant son sapin à l’occasion du temps des fêtes, Chantale capte à la télévision la couverture d’un événement gravissime de dernière heure : un tueur misogyne vient de faire irruption à l’École Polytechnique et a ouvert le feu sur les étudiantes…
Surtout, le premier épisode de la série jette les bases pour démontrer que la ferveur antiavortement de l’ex-conjoint de Chantale relève beaucoup moins d’un prétendu instinct paternel que d’une volonté de contrôle. De cet homme auquel l’acteur Antoine Pilon prête ses traits, il est dressé le portrait d’un partenaire dont la fausse galanterie masque mal une personnalité calculatrice et jalouse. Prometteuse dans le rôle-titre, Éléonore Loiselle dégage quant à elle déjà beaucoup de l’aplomb qu’il a certainement fallu à Madame Daigle pour se lancer dans cette lutte juridique, médiatique et sociale, à l’âge de 21 ans seulement.
La réelle question derrière l’accès à l’avortement n’est donc pas du tout l’importance accordée au fœtus ou à la valeur de la vie. Qui contrôle le corps des femmes? Les femmes elles-mêmes, ou l’État? Il se situe là, le vrai débat.
Il me tarde de voir également apparaitre à l’écran, dans les prochains épisodes, le réseau de femmes qui ont aidé Chantale à obtenir un avortement (…aux États-Unis!). Elles sont, elles aussi, au cœur du dénouement de cette histoire. Les récits féministes des chasses aux sorcières, la série télévisée The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate) et le roman d’Annie Ernaux L’Événement, notamment, en attestent bien : l’expertise et la solidarité des femmes ont toujours été les plus puissantes armes dans les moments de l’histoire où l’accès à l’avortement est menacé.
La valeur de la vie ?
La diffusion de la série Désobéir coïncide par ailleurs avec plusieurs réactivations récentes de la lutte pour l’accès à l’avortement, notamment dans le contexte où nos voisines américaines subissent un recul dramatique de leur droit de choisir depuis l’été dernier.
Il y a quelques semaines un premier poupon était justement déposé dans l’une des « boîtes à bébé » du Kentucky où l’avortement a été proscrit il y a moins d’un an. Les dirigeants du Kentucky prétendent-ils sérieusement nous faire avaler que c’est pour honorer la vie des nourrissons qu’ils ont bafoué sans vergogne l’intégrité des femmes? Disons que dès que le poupon quitte l’utérus, on trouve les élus soudainement beaucoup moins impliqués.
Et que dire des destins des enfants qui ont eu le malheur de croiser nos religieux et religieuses au Québec? Des reportages de l’émission Enquête et de Radio-Canada levaient récemment le voile sur les traitements inimaginables de cruauté perpétrés dans les années 1960 des mains des religieuses dans les orphelinats. Là encore, l’Église ne parviendra pas à m’arracher une larme en avançant que c’est par « respect pour la vie » qu’elle ordonnait aux femmes de tomber enceinte autant de fois que Dieu le veut, quitte à ce qu’elles meurent en couches et/ou que leurs enfants se retrouvent dans ces véritables maisons de torture institutionnalisées.
La réelle question derrière l’accès à l’avortement n’est donc pas du tout l’importance accordée au fœtus ou à la valeur de la vie. Qui contrôle le corps des femmes? Les femmes elles-mêmes, ou l’État? Il se situe là, le vrai débat. Et la pente est on ne peut plus glissante. C’est pourquoi plusieurs personnes s’entendent pour dire qu’il convient davantage d’appeler les opposants à l’avortement les « anti-choix ».
Réseau d’entraide
En ce mois de l’histoire des femmes, il importe de réitérer que nous avons non seulement un devoir de mémoire, mais que la lutte est toujours en cours. À ce jour, au Canada, aucune loi sécurisant l’accès à l’avortement n’a encore été déposée, et le Parti conservateur du Canada (dont plusieurs députés sont opposés à l’interruption volontaire de grossesse) fait encore régulièrement campagne sur cette question.
Entre féministes, adelphes et allié·es, nous devons donc veiller mutuellement sur nos angles morts respectifs. Surtout, il importe de réaffirmer que nous continuons le combat de Chantale Daigle et de milliers d’autres femmes. Protégeons férocement le droit à l’avortement comme un dragon couve son or, c’est-à-dire en sachant qu’il se trouvera toujours quelqu’un pour tenter de le dérober.