Le refus de reconnaitre l’intersectionnalité est du gaslighting

CHRONIQUE | La vision du féminisme de la CAQ ignore les développements scientifiques et même les positions ministérielles sur le sujet.

Alors que le Mois de l’histoire des Noirs vient de se terminer et à l’approche de la Journée internationale des droits des femmes, le gouvernement Legault nous rappelle que pour lui, les femmes ne sont pas toutes égales…

Faisant suite à une demande du Collectif 8 mars, formé d’organisations syndicales et féministes, Québec Solidaire a déposé une motion à l’Assemblée nationale afin qu’on encourage (et non qu’on impose) « l’analyse différenciée [des politiques publiques] selon les sexes dans une perspective intersectionnelle afin de défendre les droits de toutes les femmes au Québec ». Rappelons que cette analyse, aussi appelée « ADS+ », est un outil qui vise à contrer les inégalités entre les sexes en proposant une lecture plus éclairée des phénomènes sociaux.

Or, historiquement, le féminisme s’est intéressé aux oppressions vécues par les blanches. Le sexisme nuit à toutes les femmes. Les femmes blanches représentent la norme, ce qui a mené à un rejet de certaines dimensions du sexisme qui vise les femmes marginalisées. L’intersectionnalité permet une appréhension de la réalité de ces femmes.

L’intersectionnalité fait partie des approches théoriques développées par la critical race theory. C’est en 1989 que ce terme juridique a été développé par la professeure de droit Kimberlé Crenshaw pour décrire comment la race, la classe sociale, le sexe et d’autres caractéristiques individuelles s’entrecoupent et se chevauchent, créant une forme de discrimination unique. Puisqu’elle se fonde sur la prise en compte simultanée de l’oppression de race et de genre, elle s’applique tant aux femmes noires qu’aux femmes racisées et aux femmes autochtones.

Approche bien connue

Cette approche est reconnue par les Nations unies, qui ont créé en 2012 un Réseau sur la discrimination raciale et la protection des minorités, en tant que « plateforme pour aborder la discrimination raciale et la protection des minorités nationales ou ethniques, linguistiques et religieuses, y compris les formes multiples et croisées de formes de discrimination ».

Comme outil qui permet de tenir compte de l’intersectionnalité, « l’ADS+ reconnait que les catégories “hommes” et “femmes” ne sont pas des blocs homogènes et que la position sociale d’une personne est façonnée par une multitude de facteurs identitaires et sociaux en plus du sexe et du genre, dont l’âge, l’orientation sexuelle, l’origine culturelle ou ethnique, l’identité autochtone, la situation de handicap, la situation socio-économique », selon… le gouvernement du Québec lui-même.

La vision du féminisme de la CAQ ignore les développements scientifiques et même les positions ministérielles sur le sujet.

L’ADS+ est même intégrée à la toute dernière Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes du gouvernement.

Pourtant, la motion de QS n’a même pas été débattue en chambre. Le bureau de la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, s’y est opposé. Ainsi, la vision du féminisme de la ministre ignore les développements scientifiques universitaires de dernières décennies, soit l’intersectionnalité, tout en faisant fi des positions ministérielles sur l’ADS+.

L’égalité, garantie par les conventions internationales et par les Chartes, devient une question politique.

Universel ou intersectionnel?

Celles et ceux qui s’opposent ces jours-ci au féminisme intersectionnel le font au nom d’un féminisme qui se voudrait plus « universel ». La véritable question : universel pour qui? Pour les femmes du groupe dominant, soit les femmes blanches. Cette approche fait fi de la complexité du féminisme et de son histoire, qui a historiquement ignoré, voire méprisé les femmes noires socialement placées dans une situation intersectionnelle.

On doit se demander : est-ce que certaines femmes dominantes agissent de façon réellement « neutre » et « objective »? Lorsqu’elles ignorent l’expérience des femmes « différentes », peuvent-elles se présenter comme des arbitres objectives de la réalité sociale des femmes marginalisées?

Les institutions démocratiques doivent être véritablement représentatives de l’ensemble des citoyennes québécoises qui contribuent toutes à la nation. Est-ce qu’on peut légitimement prétendre que le destin d’une femme handicapée est le même que celui d’une femme sans handicap? L’intersectionnalité répond à cette question : non.

Contrairement à ce que certain·es prétendent, l’intersectionnalité n’avantage pas certaines femmes : elle permet que l’égalité ne soit pas un concept purement théorique, mais qu’elle devienne une réalité pour toutes.

Est-ce que certaines femmes dominantes agissent de façon réellement « neutre » et « objective »?

La semaine dernière, l’Université métropolitaine de Toronto rendait public un rapport sur la situation socio-économique de la population musulmane noire au Canada : le rapport souligne l’importance d’une compréhension intersectionnelle non seulement pour les femmes noires, mais aussi pour les femmes noires musulmanes, qui sont dans une situation encore plus précaire selon plusieurs indicateurs socio-économiques. En effet, les expériences de la population musulmane noire diffèrent non seulement de celles de la population générale du Canada, mais aussi de celles de la population noire ou encore musulmane.

Cette prise de conscience devrait alimenter non seulement la défense des droits de ces femmes, mais aussi l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques et de programmes qui tiennent compte de la situation intersectionnelle à laquelle la société les confine.

Gaslighting racial

Le refus de reconnaitre la réalité juridique qu’est l’intersectionnalité constitue du gaslighting, une forme de violence psychologique.

Refuser de reconnaitre l’intersectionnalité, c’est du gaslighting racial, par lequel on amène la victime de racisme à douter et à remettre en question son propre sens de la réalité quant au racisme.

Selon la professeure Angelique Davis, ce gaslighting prend diverses formes : nier les événements vécus par une personne noire, « refuser d’entendre ou de comprendre son récit, “oublier” ou nier que quelque chose s’est effectivement passé, minimiser les sentiments d’une personne noire comme étant sans importance ou irrationnels ». Lorsque les personnes font part de leurs expériences, leurs récits sont examinés et disséqués et ultimement discrédités, bien plus que ceux des personnes blanches du groupe dominant.

Bref, on blâme la victime pour les comportements dont elle est la cible.

En refusant de reconnaitre l’intersectionnalité des oppressions, on fait du gaslighting à l’égard des femmes marginalisées, et notamment à l’égard des femmes noires.

Il est plus que temps de dénoncer et de rendre visible l’invisible, nous devons, en tant que société, reconnaitre les couches intersectionnelles de la discrimination afin d’y faire face, notamment en nous donnant les données statistiques (à savoir les données ventilées) pour y faire face.

Afin que les femmes noires puissent avoir la place qui leur revient. Ainsi, les femmes noires pourront tracer leur chemin qui sera l’autoroute des générations à venir.

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