Le hockey, la police et le jeu de la tranche de pain

CHRONIQUE | Tout ce beau monde-là peut faire sa vierge offensée, mais évidemment, tout le monde était déjà au courant.

Tou·tes les membres de la classe politique et du milieu du sport ont fait leur vierge offensée la semaine passée parce qu’illes ont appris la choquante réalité des initiations sportives.

Il y a de quoi. On apprend des détails sordides sur de la torture et des agressions sexuelles. Rien qu’on aurait pu s’imaginer, non. Beaucoup de gens ont joué au hockey mineur ou ont des proches qui ont fait partie d’équipes et personne n’a jamais eu même l’idée que ce genre de geste puisse être posé dans le temple de notre religion nationale. Il est impossible que le lieu sacré de l’esprit sportif et de la camaraderie puisse être le théâtre d’une telle barbarie.

Évidemment, tout le monde était déjà au courant.

On connaît les initiations, on connaît ces gars-là et on a une bonne idée sinon des gestes précis qui sont posés, au moins de l’esprit général de l’affaire.

Le meilleur exemple, c’est le jeu de la tranche de pain. La tranche de pain, c’est un morceau de culture, un tabou que tout le monde connaît. Je n’ai pas vraiment besoin d’en dire plus et c’est ça mon point. La tranche de pain pourrait être un meme. Si vous ne connaissez pas la tranche de pain, demandez à quelqu’un (ou à Wikipédia).

On protège le secret. Personne n’est coupable si tout le monde l’est.

Ce qui rend le rituel de l’initiation efficace, c’est le partage du secret et de la culpabilité. C’est aussi la honte de l’homosexualité. C’est de savoir que tout le monde s’est soumis à l’exercice en ne sachant pas s’il mangerait la toast à la fin. Le secret tient les hommes solidaires et tout ce beau monde-là peut se scandaliser sans crainte de se faire accuser de tout savoir depuis le début, parce qu’ils peuvent toujours dire : toi aussi.

Tout le monde s’excuse, personne n’est coupable

J’ai appris jeudi dernier que j’allais recevoir 1386,37 $ (après les honoraires et les taxes) en dommages moraux versés par la Ville de Montréal. C’est en guise de règlement d’un recours collectif en lien avec huit arrestations de masse brutales commises par le SPVM entre 2012 et 2015.

Le montant est assez décevant. J’aurais préféré 1312 $, rendue là.

Je veux quand même reconnaître le travail des représentant·es dans ces dossiers, pendant dix ans. Illes ont quand même obtenu un aveu de culpabilité et des excuses publiques de la Ville.

Mais après? Qu’est-ce qui empêche la situation de recommencer constamment? Honnêtement, l’action politique est aujourd’hui plus surveillée, policée et réprimée qu’elle ne l’était il y a dix ans. C’est clair pour moi que ces compensations sont simplement partie intégrante des coûts d’opération exorbitants et toujours croissants de la police. Les droits et libertés sont des externalités.

Quand on interpelle des policier·ères parce qu’illes utilisent la force, quand on leur reproche leur racisme ou juste leur méchanceté, illes nous répondent « on fait juste notre travail ». C’est la job qui les protège de l’éthique la plus évidente.

On attend encore une prise de responsabilité et un effort de réparation réel.

C’est facile pour la Ville de s’excuser : c’est l’employeur, c’est son rôle. « Oui, nos employé·es l’ont échappé, my bad. » Personne pour prendre le blâme, tout le monde est coupable. Et le politique va nous répéter qu’illes ne donnent pas les ordres, que les policiers font leur travail et de faire une plainte si on se sent lésé·e.

On protège le secret. Personne n’est coupable si tout le monde l’est.

On a parfois une pomme pourrie qu’on va limoger pour l’exemple, mais on attend encore une prise de responsabilité et un effort de réparation réel. À la place, on éponge le déficit, on dédommage les victimes et on n’en parle plus.

Et ça, c’est le meilleur scénario – celui où on est plusieurs centaines de personnes principalement blanches à se faire arrêter en même temps. Ajoutez une mauvaise santé mentale, la mauvaise couleur de peau, de l’isolement et les excuses deviennent caduques.

Le gouvernement des coupables

Ce qui fait l’hétérosexisme et la suprématie blanche, ce ne sont pas les hommes blancs, c’est le fait qu’ils partagent le secret de leur culpabilité.

C’est ce qui rend impossible le sauvetage de la police par « la diversité et l’inclusion ». La force de l’institution vient précisément du fait que tout le monde partage la même tranche de pain.

Le secret tient les hommes solidaires et tout ce beau monde-là peut se scandaliser sans crainte de se faire accuser.

Le gouvernement a beau s’épancher sur la culture toxique des initiations sportives et se surprendre des agressions sexuelles dans le même milieu, cette culture du partage de la culpabilité et de la honte organise des pans entiers de la vie publique.

Quand Sophie Brochu se fait démissionner d’Hydro-Québec pour être remplacée par quelqu’un qui va faciliter le pillage des territoires innus, ou que le ministre de la Santé se surprend des conditions de travail impossibles à l’urgence de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont – comme si ce n’était pas le modèle de gestion préconisé depuis une éternité –, c’est la même logique opaque de vestiaire.

C’est le gouvernement des coupables.

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