Meurtre de Jean René Junior Olivier à Repentigny : l’art d’exonérer la police

La semaine dernière, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé qu’aucune accusation criminelle ne serait déposée contre les deux policiers de Repentigny qui ont abattu Jean René Junior Olivier le 1er août 2021. La décision a été un autre coup dur pour la famille d’Olivier, toujours en deuil, mais elle semble avoir soulagé divers commentateurs au Québec qui préfèrent éviter la réalité du racisme systémique et de la violence policière.

Olivier était un Québécois-Haïtien de 37 ans, qui souffrait de schizophrénie. Au matin de la rencontre fatale, d’après sa mère Marie-Mireille Bence, il a eu un épisode psychotique. Il entendait des voix, croyait que des gens venaient pour le tuer et a éventuellement ramassé un couteau de cuisine. Craignant pour la sécurité de son fils, Bence a appelé le 911 et a demandé une ambulance pour l’emmener dans un hôpital psychiatrique.

Plutôt qu’une ambulance, deux policiers de Repentigny ont été envoyés sur les lieux. La police a retrouvé Olivier dans la rue devant chez lui, couteau de cuisine à la main, avec deux amis.

Ensuite, trois agents supplémentaires sont arrivés.

Au cours de l’interaction qui a duré une quinzaine de minutes, Olivier a laissé tomber le couteau plusieurs fois, avant de le reprendre à nouveau.

Au moins un agent a tiré du gaz poivré sur l’homme en détresse. L’oncle d’Olivier, sentant le risque de violences policières, a exhorté les agents à maîtriser son neveu ou, à défaut, à lui tirer sur le pied. La police aurait ordonné à l’oncle d’Olivier de retourner à l’intérieur et de verrouiller la porte.

Plutôt qu’une ambulance, deux policiers de Repentigny ont été envoyés sur les lieux.

Le moment fatal est arrivé, selon le DPCP, lorsqu’Olivier a de nouveau ramassé le couteau de cuisine et a couru en direction des policiers. Deux des policiers ont ouvert le feu, lui logeant trois balles dans le ventre.

Une ambulance est arrivée et Olivier a été transporté à l’hôpital, où il a été déclaré mort.

Une nouvelle goutte dans un vase déjà plein

Le meurtre a propulsé la mère d’Olivier, Marie-Mireille Bence, sous les projecteurs du public et a amplifié les frustrations croissantes de la communauté noire envers la police de Repentigny.

Lors d’une vigile le 4 août 2021, Bence s’est tenue stoïquement devant une foule de 200 personnes. « C’est vraiment dur, c’est très difficile pour moi », a-t-elle dit. « Mon fils est mort parce qu’il est noir. »

« La mort est arrivée, la responsabilité leur revient. »

Pierre-Richard Thomas

Debout à côté d’elle, un leader de la communauté haïtienne, Pierre-Richard Thomas, a lié le meurtre à un contexte plus large de pratiques policières anti-Noirs dans la banlieue de Montréal. « Ça fait cinq ans qu’on dénonce la mauvaise relation avec la police » aux autorités de la Ville, a-t-il dit. « On le disait, ça va finir par éclater. La mort est arrivée, la responsabilité leur revient. »

L’annonce qu’aucune accusation criminelle ne serait déposée contre les deux policiers qui ont tué Olivier a retraumatisé Marie-Mireille Bence et une grande partie de la communauté noire de Repentigny.

Bence a critiqué le travail du soi-disant « chien de garde » de la police québécoise, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qui a enquêté sur le meurtre et a remis son rapport au DPCP le 17 mai 2022. C’est « une enquête bidon », dit-elle. « C’est de la foutaise ».

Lancé en 2016, le BEI n’avait pas encore produit d’enquête sur un meurtre par la police qui a conduit à des accusations criminelles.

Ceux qui se réjouissent et ceux qui justifient

Sans surprise, la décision du DPCP a été accueillie assez différemment par les nationalistes de droite et d’extrême droite au Québec, dont certains s’étaient ralliés à la police de Repentigny immédiatement après le meurtre d’Olivier.

Horizon Québec Actuel, un groupe nationaliste voué à affronter « les revendications minoritaires qui divisent inutilement le peuple », a fait valoir en août 2021 que la famille d’Olivier et « Black Lives Matter » utilisaient l’incident pour « imposer leur idéologie victimaire » et « fomenter une guerre raciale » au Québec.

La campagne du groupe a été évoquée la semaine dernière par des utilisateurs Twitter « anti-woke », qui ont célébré l’annonce de du DPCP comme preuve qu’« il n’y a pas eu de profilage racial » dans l’affaire Olivier et que « les policiers ont été menacés par cet individu qui a perdu la vie ».

Des réponses comme celles-ci ne se sont pas limitées à l’extrême droite. Dans La Presse, le chroniqueur centriste Patrick Lagacé a profité de l’annonce du DPCP pour ridiculiser Pierre-Richard Thomas pour avoir affirmé que le meurtre d’Olivier était « une séquelle de l’esclavage […] qui était basé sur la supériorité des races ».

Lagacé fournit une version acceptable de l’attaque d’extrême droite contre « l’idéologie victimaire » des communautés racisées.

L’enquête du BEI, selon Lagacé, a montré que le meurtre « était loin d’une exécution sommaire motivée par des policiers repentignois racistes ». Ce qui a tué Olivier, alors, n’était « pas le racisme » mais « la philosophie derrière l’entraînement des policiers ».

Ce qui manquait particulièrement dans le contexte local, a affirmé Lagacé, était une formation comme celle dispensée à la police britannique, qui leur permettrait apparemment de maîtriser des cibles brandissant des couteaux sans recourir à la force létale.

La prise de position de Lagacé est remarquable pour de nombreuses raisons, notamment parce qu’elle fournit une version plus acceptable de l’attaque d’extrême droite contre « l’idéologie victimaire » des communautés racisées.

De plus, sa référence au contexte britannique omet de remarquer qu’environ 90 % des policiers britanniques ne portent pas d’armes à feu – un fait qui rend nécessaire l’usage de leur formation spéciale. Retirez les armes à feu de la rencontre à Repentigny, et on peut imaginer de nombreuses façons dont cinq adultes pourraient maîtriser un seul individu avec un couteau de cuisine, même sans formation spéciale.

La réprimande de Lagacé à Pierre-Richard Thomas est également stupéfiante. Il est assez bien connu que l’esclavage n’était pas caractérisé par « l’exécution sommaire » des personnes noires – pour la raison évidente que les esclaves étaient des biens de valeur. En se référant aux séquelles de l’esclavage, Thomas mobilise une longue histoire de la pensée politique noire qui retrace comment les relations socio-juridiques de l’esclavage se sont perpétuées dans le présent, de manières complexes.

Les balles tirées dans son estomac ne constituent aucun crime, comme si Olivier n’était pas enregistré en tant que « personne » aux yeux de la loi.

Comme le soutient Robyn Maynard dans NoirEs sous surveillance, l’esclavage aux États-Unis et au Canada attachait des attributs tels que « servilité, criminalité, manque d’intelligence [et] dangerosité » à la vie des personnes noires. Aussi, puisque les esclaves n’étaient pas considéré·es comme des « personnes » aux yeux de la loi, la violence contre les personnes noires n’était pas considérée comme un « crime contre la personne ». Ces conditions, soutient Maynard, « conditionneront entièrement le traitement qui leur sera réservé » longtemps après l’abolition de l’esclavage.

Il n’est pas difficile de voir comment ce « conditionnement » a façonné le meurtre d’Olivier par la police. Son corps noir a été lu comme dangereux, alors même qu’il se tenait seul dans la rue, entouré de cinq policiers. Les balles tirées dans son estomac ne constituent aucun crime, comme s’il ne s’était pas enregistré en tant que « personne » aux yeux de la loi. Quand on prend le temps de comprendre l’argument de Thomas sur les séquelles de l’esclavage, une nouvelle perspective sur le meurtre devient possible.

On pourrait même se demander qui, précisément, opère selon une « idéologie victimaire ».

La police, la race et la santé mentale

En affirmant le rôle du racisme anti-noir dans le meurtre d’Olivier, je ne dis pas qu’il serait encore en vie s’il avait été blanc. Le facteur le plus important dans les meurtres commis par la police au Canada est la santé mentale. Depuis 2001, 42 % des personnes tuées par la police avaient des troubles de santé mentale.

Bien qu’aucune répartition raciale de ce chiffre pancanadien ne soit disponible, un rapport de la Commission ontarienne des droits de la personne sur les incidents de « recours à la force » par la police de Toronto nous donne des indices. Le rapport montre qu’au cours de deux périodes d’étude (2000-2007 et 2013-2017), 35 % des victimes souffraient de troubles de santé mentale au cours de la première période et 30 % au cours de la seconde.

Le facteur le plus important dans les meurtres commis par la police au Canada est la santé mentale.

Les personnes noires représentaient 33 % et 16 % de ces cas, une disproportion importante étant donné qu’ils représentaient seulement 8 à 9 % de la population de Toronto. Les personnes blanches, bien que moins susceptibles que les Noir·es d’être ciblées, représentaient toujours la majorité des victimes ayant des troubles de santé mentale (53 % et 65 %, selon la période).

En d’autres termes, les personnes souffrant de maladie mentale restent extrêmement vulnérables à la violence policière, quelle que soit leur origine raciale.

Si nous voulons comprendre la violence policière, nous devons considérer comment diverses formes d’oppression systémique – en particulier le racisme et le capacitisme – se croisent et constituent des zones de vulnérabilité.

Dans le cas d’Olivier, sa blackness et ses troubles de santé mentale, ensemble, l’ont placé dans le collimateur de la violence mortelle et de l’extrême périphérie de la protection juridique. Sa vie représentait un danger pour la police et presque rien du tout pour le « chien de garde » de la police, le BEI.

Il est possible de créer un monde dans lequel des personnes comme Olivier se voient offrir la même protection que tout le monde et le type de soins dont elles ont besoin.

Pour y arriver, nous devons écouter ce que Marie-Mireille Bence a réellement demandé lorsqu’elle a appelé le 911, nous devons apprendre de Pierre-Richard Thomas et Robyn Maynard lorsqu’il et elle expliquent comment un système de domination raciale qui remonte à l’esclavage façonne les pratiques policières dans le présent, et il faut reconnaître combien de commentateurs, de l’extrême droite à l’extrême centre, refusent obstinément et fatalement de faire l’un ou l’autre.