Un professeur d’économie à Yale, Yusuke Narita, a émis en 2021 une proposition hautement controversée à propos du « problème » du vieillissement au Japon, mais ses propos viennent juste de faire le tour du monde. Son idée? Promouvoir le suicide de masse des personnes vieillissantes. La méthode? Le seppuku, ou hara-kiri.
Selon un article du Straits Time de Singapour, le controversé personnage – une star du politiquement incorrect au Japon – aurait par la suite affirmé qu’il avait fait un usage « métaphorique » des termes « suicide de masse » et « seppuku de masse » dans une entrevue et quelques publications.
Même s’il s’est ensuite rétracté, ces propos lui ont permis d’amasser beaucoup de followers sur les réseaux sociaux. Il aurait ainsi visé « juste », directement dans l’engrenage d’un conflit intergénérationnel larvé au Japon. En effet, des commentateurs de droite et d’extrême droite n’hésitent pas à promouvoir l’âgisme et la capacitisme en râlant sur les « coûts sociaux » du vieillissement pour la société japonaise.
Faire ce calcul myope, c’est déjà céder au régime dystopique du capitalisme avancé, qui nous impose des choix ignobles
Ironiquement, les personnes vieillissantes sont surreprésentées dans les suicides dans l’archipel. L’isolement fait des ravages.
L’économiste de Yale, dont le travail s’ancre dans le design de politiques publiques, la prise de décision et l’allocation de ressources en fonction de calculs algorithmiques, semble donc ouvrir la voie à un nouvel âge technocratique allergique au vieillissement.
Narita, de plus, est proche de Hiroyuki Nishimur, propriétaire du réseau social 4chan, la plateforme qui a tant fait pour le trumpisme et le complotisme d’extrême droite.
Des discours qui se normalisent
On voit présentement apparaître une normalisation de l’eugénisme en Occident. Cela se manifeste notamment dans la capacité sociale grandissante au laisser-mourir des personnes vieillissantes, autant dans les discours que dans les pratiques, comme l’a pandémie de COVID-19 nous l’a bien démontré.
Dans les discours, cela se produit inexorablement dans l’acte même du calcul générationnel. J’entends par cela l’acte d’opposer les besoins des générations descendantes et des générations ascendantes, comme s’ils étaient nécessairement contradictoires, dans un contexte de ressources finies et limitées.
On voit présentement apparaître une normalisation de l’eugénisme en Occident.
Au risque de paraître répétitif, je ne me lasse jamais de ressortir ce questionnement du chroniqueur économique de La Presse Francis Vailles, passé comme une lettre à la poste au début de la pandémie : « Viendra un moment où il faudra toutefois s’interroger sur les coûts de nos mesures de confinement et leur énorme facture économique et sociale. À partir de quel moment les autorités jugeront-elles que le coût imposé à l’ensemble de la société dépasse les gains en termes de vies humaines, principalement âgées? ».
À la fin de sa chronique, Vailles rajoute : « Je sais, c’est froid, rationnel et répugnant, mais la situation exige de réfléchir à la question ».
Voilà l’exemple parfait d’une « logique sacrificielle » appliquée à la santé des populations, au sens de Jade Bourdages et David Morin.
It’s the economy, stupid
Étrangement, dans ces « calculs difficiles » qui opposent « froidement » la valeur des vies en temps de crise, on n’intègre jamais l’évidence même : le caractère immoral, illégitime et violent de la captation par une élite cleptocratique des richesses produites quotidiennement.
C’est cette mainmise sur les richesses collectives qui crée la rareté et nous met en premier lieu devant ce calcul des vies humaines. Faire ce calcul myope, c’est déjà céder au régime dystopique du capitalisme avancé, qui nous impose de faire des choix ignobles et de tracer une ligne entre laisser-vivre et laisser-mourir.
L’économiste de Yale ouvre la voie à un nouvel âge technocratique allergique au vieillissement.
En 2005, le contrat de l’anthropologue David Graeber à Yale n’avait pas été renouvelé, précisément en raison de ses positions politiques anarchistes. Il sera intéressant de voir si Narita sera ou non limogé de la prestigieuse institution en raison de ses propos, tenus il y a déjà presque deux ans.
Je parie que non, puisque Yale a pris soin de publier, sous la page officielle du professeur, la mise en garde suivante : « Les opinions du professeur Narita sur les médias et les travaux universitaires sont les siennes et ne représentent pas les vues du département d’économie ou de l’Université Yale. Cet avertissement s’applique aux reportages des médias sur ses déclarations passées. » Problème réglé.
Comme quoi être eugéniste passe toujours; anarchiste, non.
Et pourtant, le capitalisme crée le problème du vieillissement en créant deux classes de sujets : les productifs et les improductifs. Ce n’est pas le vieillissement en soi qu’on devrait chercher à abolir, mais plutôt le mode de production lui-même.
Mais attention, c’est un tabou.