Un abri construit par une personne itinérante en face de l'ancien aréna Robert-Guertin, qui pourrait devenir un nouveau QG pour la police de Gatineau. | Photo : Nonibeau Gagnon-Thibeault
Reportage

« Ils font ce qu’ils veulent de nous » : un QG policier près d’un refuge inquiète la population itinérante à Gatineau

Une femme en situation d’itinérance raconte comment le harcèlement et les abus de la police de Gatineau l’ont poussée à une tentative de suicide.

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La mairesse de Gatineau, France Bélisle, souhaite faire construire un quartier général de police sur le site de l’ancien aréna Robert-Guertin, à une cinquantaine de mètres du refuge le Gîte Ami. Cela inquiète la population itinérante et les organismes d’aide, qui craignent une intensification du profilage social, des abus et du harcèlement par les agent·es.

Claudine Bérubé, une femme en situation d’itinérance qui fréquente le Gîte Ami, voit la construction d’un quartier général (QG) de police à 50 mètres de son milieu de vie d’un mauvais œil. « Tout ce que ça va donner, c’est plus de profilage », affirme-t-elle avec vigueur.

Marie-Ève Sylvestre, doyenne et professeure à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, estime aussi que la présence d’un QG du Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) pourrait aggraver la judiciarisation et l’incarcération des personnes en situation d’itinérance. « C’est courir un risque très prévisible d’accentuer l’incarcération », avertit-elle

Elle souligne que cela pourrait mener à davantage d’incarcération des personnes itinérantes recevant des amendes qu’elles ne peuvent pas payer. En effet, selon une étude menée par Mme Sylvestre, entre 2005 et 2010, plus de 70 % des amendes données aux personnes en situation d’itinérance à Gatineau menaient à une incarcération pour cette raison.

Application discriminatoire des règlements municipaux

Marie-Ève Sylvestre parle de « dérangeosité » pour désigner le fait que les personnes en situation d’itinérance ne reçoivent pas des constats d’infraction pour leur dangerosité, mais parce qu’elles sont considérées comme dérangeantes. Elles sont ciblées pour « des infractions extrêmement mineures, qui sont surtout liées à leur utilisation des espaces publics, et donc au fait qu’elles sont souvent jugées dérangeantes », explique-t-elle.

Pierre-Luc Baulne, co-coordonnateur de l’Association pour la défense des droits sociaux (ADDS) de l’Outaouais, affirme que des règlements sont utilisés comme menaces de manière discriminatoire par les agent·es du SPVG.

« Tout ce que ça va donner, c’est plus de profilage. »

Claudine Bérubé

Il donne en exemple le règlement qui interdit de traverser la rue aux endroits non autorisés. « Il y a plein de gens qui se sont retrouvés avec un constat d’infraction pour ça, mais si tu vas deux coins de rue plus loin, où il y a la fonction publique, les gens traversent là comme une passoire et personne ne se fait interpeller pour ça », compare-t-il.

M. Baulne juge que les agent·es du SPVG cherchent à contrôler et éloigner la population itinérante du Vieux-Hull. Leurs méthodes impliqueraient des arrestations abusives, la distribution d’amendes de manière discriminatoire, mais aussi la déportation dans des municipalités rurales de l’Outaouais.

Déportée, harcelée, poussée au suicide

C’est ce qu’a vécu Claudine Bérubé, qui affirme avoir été déportée à Ripon, à 80 kilomètres du Vieux-Hull, par un agent du SPVG. Ce phénomène est bien connu de la population itinérante du coin : des agent·es du SPVG conduiraient les itinérant·es considéré·es comme dérangeant·es dans des coins ruraux de l’Outaouais.

« Apparemment, j’étais une personne recherchée qui s’appelait Régimbald et j’étais une blonde aux yeux verts », raconte la femme aux cheveux brun foncé. « Ils avaient décidé que je rentrais dans la description. »

« Pour revenir, j’ai dû faire beaucoup d’humiliation. »

« Pis sais-tu ce qui arrive après ça? » demande-t-elle. « Tu prends une petite bière, c’est ma maladie. Pis là, je reçois un ticket », ajoute-t-elle, les larmes aux yeux.

Mme Bérubé affirme avoir été harcelée par les agent·es du SPVG pendant plus de six ans. Elle raconte avoir vécu de l’abus verbal et physique, des arrestations abusives, des fouilles à nu et la remise de nombreuses contraventions.

« Ils se sont approprié le droit de faire ce qu’ils veulent de nous. »

Claudine Bérubé

Détruite par le harcèlement constant qu’elle vivait, elle a commis une tentative de suicide. « J’ai écrit une lettre de trois pages [expliquant] que c’est parce que ça faisait six ans qu’ils me harcelaient, j’en pouvais plus. Depuis, ils me harcèlent moins », raconte-t-elle.

Se décrivant comme une combattante, Mme Bérubé pointe les deux choses qui lui donnent encore la force de vivre malgré les abus qu’elle subit : une canette de bière et une effigie de la Vierge Marie. Elle s’inquiète toutefois que d’autres n’aient pas la force de passer à travers les souffrances.

« Ils [les policier·ères] s’encouragent là-dedans. Pis je crois que c’est devenu un système où ils se sont adaptés pour que ça passe en dessous du radar. Ils se sont approprié le droit de faire ce qu’ils veulent de nous », avance-t-elle.

De son côté, le SPVG affirme par courriel que « les policiers sont sensibilisés à de meilleures pratiques. Lentement, un meilleur climat de confiance s’installe entre les policiers et la population itinérante. »

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