Dans le sillage de la fermeture du magasin Archambault de la rue Berri, une grande quantité d’encre virtuelle a coulé pour déplorer la soi-disant « décrépitude » du secteur. Alors que d’aucuns ont pointé l’itinérance comme cause des maux, trop peu d’attention a été tournée vers le rôle joué par les promoteurs et spéculateurs privés dans cette dynamique.
Le constat est indéniable : de nombreux bâtiments du centre-ville de Montréal – aussi bien dans le secteur Berri-UQAM que plus à l’ouest – sont inutilisés, barricadés, laissés à l’abandon. Il y a certes des cas où ce sont de petits propriétaires qui, par négligence ou par manque de fonds, n’entretiennent pas leurs édifices. Or, dans les secteurs centraux, ils se font plutôt rares : c’est un marché de gros joueurs. Et ces gros joueurs participent activement à la décrépitude tant déplorée par nos commentateur·trices.
Le profit avant les logis
Le cas le plus discuté dernièrement est celui de l’îlot qui se situe au sud de la place Émilie-Gamelin, où l’on retrouve notamment l’ancien local du premier restaurant Da Giovanni et celui du défunt bar l’Escalier (ou l’Utopik pour les nostalgiques). Une série de bâtiments à l’abandon, dans un des secteurs les plus fréquentés de la métropole, en face d’un accès de la station de métro la plus achalandée du réseau, cela saute aux yeux.
On évoque les délais du projet de construction de deux tours, de part et d’autre de la rue Saint-Hubert, mais ce n’est là qu’une partie de l’histoire. Le promoteur qui a acquis ces terrains, le groupe Mondev, a déposé son projet de manière précipitée, début 2021, pour éviter de devoir se plier au Règlement pour une métropole mixte, qui oblige la construction de logements sociaux et abordables pour ce type de projet et qui allait entrer en vigueur le 1er avril de la même année.
Résultat : un mouvement citoyen a submergé le Comité consultatif d’urbanisme de l’arrondissement et celui-ci a fortement suggéré au promoteur de retourner à la planche à dessin.
Près de deux ans plus tard, la nouvelle mouture se fait toujours attendre. Concevoir des logements sociaux semble être un défi technique colossal. Ou bien est-ce la perspective d’une légère baisse de la marge de profit qui fait traîner les pieds au promoteur?
Ces tactiques sont souvent le fait de personnes n’habitant pas la ville et, donc, n’ayant qu’un souci très relatif pour la qualité de l’environnement urbain.
On pourrait également citer le cas de l’îlot Voyageur, dont la partie ouest, donnant sur la rue Berri, a été complétée en 2016 après avoir été laissée à l’abandon entre 2008 et 2014. On ne mentionne que rarement la portion est, rue St-Hubert, qui demeure inachevée et inchangée depuis maintenant quinze ans, où des logements devaient initialement être construits.
Lorsque le groupe Aquilini a racheté l’édifice, des plans pour une deuxième phase de ce côté avaient été évoqués. Et depuis? Rien. Et pourquoi? On évoque une mésentente entre l’arrondissement et le promoteur, car ce dernier, lui non plus, ne voudrait pas se plier au Règlement pour une métropole mixte.
Même secteur, mêmes besoins, même entêtement d’un promoteur.
On voit donc ici des entreprises privées contribuer au problème du secteur Berri-UQAM de deux façons : maintenir des édifices dans un état de délabrement et freiner la construction de logements sociaux, alors qu’il semble y avoir un consensus sur la nécessité d’en construire.
Spéculer et enlaidir
Une autre pratique courante est celle des spéculateurs, qui acquièrent certains immeubles en misant sur la hausse de la valeur des terrains pour faire un profit au moment de la revente. Cela s’accompagne le plus souvent d’une négligence, voire d’une incurie totale, du côté de l’entretien des bâtiments, pour lesquels ces gens n’ont aucun souci de préservation même lorsqu’il s’agit d’édifices à valeur patrimoniale.
Résultat : on ceinture de palissades, on laisse le temps faire son travail et lorsqu’il est « trop tard », on démolit. Puis, on laisse le terrain en friche jusqu’à ce qu’on juge le moment opportun pour le revendre et empocher un profit maximal.
On voit des entreprises privées contribuer au problème en maintenant des édifices dans un état de délabrement et en freinant la construction de logements sociaux.
Ces tactiques sont souvent le fait de personnes n’habitant pas la ville et, donc, n’ayant qu’un souci très relatif pour la qualité de l’environnement urbain.
On peut comprendre les appels lancés à l’administration municipale pour limiter ou interdire toutes ces pratiques qui participent à l’érosion du tissu urbain. On voudrait voir plus de mesures pour forcer les propriétaires à prendre soin des immeubles et, lorsque c’est possible, y aménager des logements (surtout sociaux) pour aider à régler la crise du logement.
Or, ici comme dans tant d’autres domaines, le gouvernement de proximité qu’est la ville n’a pas les leviers nécessaires pour faire ce qui est attendu de lui : le gros bout du bâton est partagé entre Ottawa et Québec. Et ces gouvernements ne semblent pas prêts d’agir de manière décisive pour limiter des pratiques qui font le pain et le beurre d’une partie de leurs donateurs.