Bien sûr, lorsqu’on parle d’environnement, il faut de la nuance : la solution miracle d’aujourd’hui n’est-elle pas un problème pour demain? Il faut être constructif : une transition écologique implique nécessairement des irritants, il y a tant de choses à changer…
Mais lorsqu’il est question de transport collectif, la situation est soudainement pas mal plus claire : on s’enfonce volontairement dans des échecs grotesques, et il y a de quoi être en beau maudit.
C’est la mort du réseau « 10 minutes max » de la Société de transport de Montréal (STM) qui a tué ma patience. Alors que la course à la mobilité durable doit s’accélérer, on freine et on érige des obstacles sur la route des citoyen·nes. C’est vraiment gênant d’être déjà si loin de la modernité… et d’en plus se permettre une marche arrière.
On s’entend qu’assurer un transport collectif toutes les dix minutes sur les grands axes d’une métropole n’a rien de luxueux ni d’ambitieux. C’est juste la base.
Combien d’automobilistes seraient d’accord d’attendre plus de dix minutes dans le froid, sous la pluie ou dans un îlot de chaleur avant de pouvoir utiliser leur véhicule?
La nostalgie du camion à bétail
Mais voilà que meurt le service en dix minutes sur l’autel « des économies », parce que l’achalandage du réseau des autobus avoisine les 70 % comparé à son niveau d’avant la pandémie.
Essayez de ne pas sourire en lisant cet article de Radio-Canada de 2016, « Autobus, métro : “on est entassés comme des bêtes” ». Êtes-ce donc cela, le bon achalandage du transport collectif au Québec : s’empiler comme du bétail? Personnellement, ne plus voyager dans des bus surpeuplés ne me paraît pas si terrible…
Peut-être que le droit à un voyage agréable est le privilège des automobilistes? En effet, si un autobus avec de l’espace libre dérange, c’est moins le cas des voitures aux places inoccupées qui bouchonnent les routes.
Ça va faire, les autos
Pourtant, il existe bien des traitements pour réduire la dépendance à l’auto-solo, à commencer par un transport collectif de qualité… et de l’ambition politique.
Bien sûr, il y a l’enjeu de la densification : pour remplir les autobus, encore faut-il qu’il ait suffisamment de monde aux alentours des arrêts. N’est-ce pas justement un argument pour bâtir une stratégie hyper efficace de valorisation des transports collectifs pour qu’ils attrapent le plus de monde sur le chemin?
En affaiblissant le transport collectif, il devient encore plus difficile de le promouvoir. Et moins la population l’utilise, plus on l’affaiblit.
Bien sûr, le problème des coûts est une autre justification qui tourne en boucle. Depuis la folie des grandeurs du troisième lien de François Legault, j’ai bien du mal à compatir : cela ferait rouler combien d’autobus, les six à dix milliards $ prévus pour ce non-sens environnemental et social de 8,3 km?
Je me remémore la citation attribuée à Gustavo Petro, le maire de Bogota en Colombie : « Un pays développé n’est pas un lieu où les pauvres ont des voitures, c’est un lieu où les riches utilisent les transports en commun. »
Dans quelle situation est le Québec, selon vous?
La stratégie de la spirale de l’échec
Si on tient absolument à avoir des autobus surpeuplés, pourquoi ne pas entasser le monde dans des minibus plutôt que de réduire la fréquence?
La fréquence est un des critères majeurs pour rendre le transport collectif agréable et attractif. La réduire, c’est donc détourner encore plus de personnes de ce service essentiel à l’environnement, tout en prenant en otage celles et ceux qui en dépendent.
Mais au lieu d’adopter une politique nationale de mobilité ambitieuse et cohérente avec la science et l’urgence écologique, le Québec préfère que ses ménages s’endettent pour l’achat de véhicules électriques neufs.
Le transport collectif est en déficit? Il est temps de mettre le fardeau financier et organisationnel à la bonne place, notamment en surtaxant les véhicules les plus polluants en ville pour le refinancer.
Le transport collectif n’est pas assez achalandé? Il est temps de faire preuve d’ambition et de créativité pour le remplir.
En affaiblissant davantage le transport collectif, il devient encore plus difficile de le promouvoir. Et moins la population l’utilise, plus on l’affaiblit en faveur de l’auto-solo.
C’est ainsi que le Québec s’embarque toujours plus vite dans une spirale de l’échec, au détriment des citoyens et de l’environnement. Or, il faudra bien un jour se sortir de cette situation intenable, il est donc temps de cesser de s’enfoncer dans cette spirale infernale.
Un transport en voie de développement
C’est tellement difficile d’utiliser le transport collectif au Québec que ça en devient même gênant de regarder ce qui se fait ailleurs.
Ici, Communauto surfe sur son quasi-monopole, alors que d’autres villes comptent plusieurs offres de services de location de voitures partagées, depuis des années.
Chez nous, des vieilles bicoques d’autobus font un bruit à faire tomber des murs, tandis qu’ailleurs la flotte s’électrifie et se modernise, depuis des années.
Que dire encore de la grande absence des trams et de la sous-utilisation du train de passagers?
Le Québec va-t-il se condamner encore longtemps à être ainsi un cancre de la mobilité collective moderne?