Sans les féminicides, le true crime n’existe pas.
C’est que, depuis que j’ai vu la série documentaire québécoise Femme, je te tue, je suis incapable d’ignorer que la plupart des contenus de type « affaires criminelles » ont trop longtemps été des féminicides innommés.
Portée par la comédienne Ingrid Falaise et la journaliste Sarah Bernard, la série dont la deuxième saison est diffusée sur la chaîne Investigation depuis le début janvier déplace le focus sur les victimes et apporte un éclairage nouveau sur les histoires de meurtres.
Redonner une voix aux victimes
Femme, je te tue est une incontournable série coup de cœur, littéralement : les épisodes font l’effet d’un coup aigu porté au cœur.
À travers chacun des déchirants récits, l’auditoire est invité à regarder en face la souffrance vive des victimes et de leurs proches. Nous sommes convié·es à porter une partie du poids de l’absence insensée des femmes dont les histoires nous sont racontées.
La trame narrative de cette docu-série s’éloigne ainsi du whodunit et des émissions d’enquête qui faisaient les choux gras des chaînes spécialisées d’investigation dans les années 2000 et 2010. Exit les reconstitutions mal jouées et les plans de caméra où la police scientifique examine des pièces à la lumière infrarouge et balaie des surfaces à grand renfort de poudre blanche.
Dans Femme, je te tue, c’est l’empreinte des femmes assassinées – et non les empreintes digitales des tueurs – que l’on cherche. La série s’emploie à les réincarner en personnes à part entière, à ne pas les confiner à un statut de victime ou les réduire à leur relation avec leur meurtrier.
Sans les féminicides, le true crime n’existe pas.
Un grand soin est accordé à ne pas faire de leur décès l’unique trame de leur vie. Les passions de ces femmes, leurs qualités, leur humour, l’enfant qu’elles étaient : à travers ce qui manque le plus d’elles à leur famille, de multiples photos et anecdotes, elles se transforment, se drapent de lumière.
Femme, je te tue ne traite pas de statistiques, elle redonne une voix à des femmes que l’on a fait taire de la manière la plus injuste qui soit.
Accueillir la douleur
La démarche est sobre et empathique, elle réinvite le dialogue dans les histoires de violence.
Les entrevues conduites avec bienveillance et aplomb par Ingrid Falaise permettent aussi de faire place aux familles endeuillées, victimes collatérales souvent mises de côté. Le montage ne cherche pas à maquiller leur douleur encore vive, que l’animatrice accueille à bras ouverts. Loin du sensationnalisme, c’est au contraire une puissante dose d’humanité qui émane de l’écran.
Ces drames n’ont rien de faits « divers ».
En parallèle, la précision des analyses judiciaires et médiatiques de Sarah Bernard permet de se confronter aux ratés du système judiciaire et social. Il y a longtemps que nous avons rendez-vous avec ces questionnements honteux.
Dans quel état d’esprit peut-on s’arroger le droit de prendre une vie? Pourquoi certains meurtriers ont-ils de sombres passés en centres d’accueil, ont-ils été des enfants qu’on a laissés tomber?
Pourquoi les femmes sont-elles davantage en danger de mort lors d’une rupture, d’un quart de travail de nuit, entre les murs de leur appartement?
Comment s’y prendre pour que le processus judiciaire demeure intègre et rigoureux sans toutefois que les familles et les victimes aient l’impression qu’on banalise leur souffrance?
Bref, comment peut-on faire mieux? L’entreprise est périlleuse, mais il faudra tôt ou tard (malheureusement, si la tendance se maintient, ce sera tard) se retrousser les manches et accepter d’y travailler.
Au-delà de la terminologie
On entend souvent que le terme « féminicide » renvoie à un meurtre dont la victime est assassinée sur le motif qu’elle est une femme, mais comprend-on vraiment ce que ça signifie?
Il ne s’agit pas, pour un auteur de féminicide, de se dire consciemment qu’il tue parce que sa victime s’identifie au sexe féminin.
C’est que les femmes assassinées le sont sur la foi « d’offenses » atrocement minimes quand on met dans la balance la valeur d’une vie. Oui, ça fait mal, une rupture amoureuse, c’est désagréable d’essuyer un refus ou de sentir son égo se froisser.
Les hommes qui tuent des femmes ont l’impression que leur peine vaut plus que l’intégrité, les espoirs, les projets et la liberté de leur victime.
Statistiquement, l’équivalent n’existe pas. Dans un contexte conjugal, pour des trahisons égales et même pires, les données démontrent que les femmes ne tuent pas les hommes.
Loin du sensationnalisme, c’est au contraire une puissante dose d’humanité qui émane de l’écran.
Femme, je te tue appelle implicitement à une redéfinition des meurtres de femmes trop longtemps classés comme des faits divers. Ces drames n’ont rien de « divers », parce qu’il y a des récurrences dans leurs contextes, leurs motifs, leur violence disproportionnée. Parce que les souffrances occasionnées n’ont rien de banal.
Chaque épisode de la série relaie une fin du monde. C’est impératif d’y faire face, car ce monde dans lequel évoluent victimes et survivant·es, c’est… le nôtre. Les femmes dont les noms titrent les épisodes sont nos voisines, nos amies, nos mères, nos sœurs. Elles sont comme nous.
Elles sont nous.