Nouveau REM de l’Est : faire les choses à moitié

Après presque un an d’attente, les organisations responsables du « nouveau REM de l’Est » ont dévoilé le premier rapport décrivant leur vision pour ce réseau de transport structurant pour Montréal et ses banlieues. La nouvelle mouture esquissée vendredi élimine certains irritants, mais ne rassemble pas les conditions suffisantes pour en faire un bon projet.

La première version du projet, pilotée par la Caisse de dépôt et placement (CDPQ) avait reçu un accueil glacial de la part des expert·es aussi bien que des citoyen·nes de plusieurs secteurs qui devaient être desservis. C’est notamment l’idée d’un train en hauteur, traversant la ville sur des piliers de béton, qui avait fait l’unanimité contre elle.

On connaît la suite : la CDPQ s’est fait retirer le projet et on est retourné à la planche à dessin.

Saluons d’abord le sérieux des études des différents scénarios de tracés et, surtout, la modification de l’insertion du réseau dans Mercier-Est, qui ne se fera plus en mode aérien et sera davantage respectueux du cadre bâti.

Toutefois, l’étroitesse du mandat confié au groupe de travail par le gouvernement, qui évacue d’emblée la possibilité d’un lien vers le centre-ville, limite considérablement les possibilités d’élaborer un bon projet… au risque d’en faire un éléphant blanc.

Or, plutôt que de faire les choses à moitié, nous avons une réelle occasion de faire de ce projet une réussite sur toute la ligne.

Sacrifier le meilleur

La grande absente de cette nouvelle mouture, on la connaissait donc depuis le printemps dernier : le gouvernement a décidé d’éliminer la branche vers le centre-ville. Le rapport présente même cela comme une « amélioration »!

« Le projet de référence analysé prend appui sur […] le mandat transmis par le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal. Ce projet de référence de 23 km est composé des antennes vers Pointe-aux-Trembles et le cégep Marie-Victorin, sans le tronçon aérien vers le centre-ville d’abord prévu dans le projet de CDPQ-Infra. » | Source : Rapport intermédiaire sur le Projet structurant de l’Est

Autrement dit, on élimine le tronc commun pour ne garder que les antennes. C’est l’opposition à la structure aérienne prévue sur le boulevard René-Lévesque qui a motivé cette décision, officiellement, mais on peut voir dans cette suppression à la fois un manque d’imagination et un manque de vision.

L’imagination d’abord. N’en déplaise à François Legault et consorts, l’axe Notre-Dame–René-Lévesque est loin d’être le seul permettant de relier l’est de Montréal au centre-ville.

D’ailleurs, en août dernier, le trio formé par Christian Savard (directeur général de Vivre en ville), Christian Yaccarini (Société de développement Angus) et Marco Chitti (urbaniste, doctorant à l’UdeM) a présenté sa propre proposition pour un REM de l’Est revu et corrigé.

Le tracé envisagé ressemble à la proposition initiale de la CDPQ, mais la branche vers le centre-ville est souterraine et passe sous le boulevard Rosemont puis dans l’axe de la rue Papineau, pour ensuite se connecter aux stations Sherbrooke (ligne orange) et Saint-Laurent (ligne verte), avant de finir sa course à la gare McGill pour rejoindre le REM de l’Ouest.

Cette branche permettrait d’offrir un service digne de ce nom à des secteurs densément peuplés (est du Plateau, secteur Masson, Rosemont) où l’offre actuelle est carrément déficiente. Plus de gens fréquenteraient le réseau projeté et celui-ci serait mieux connecté avec le métro et le REM déjà existant. Sans oublier que la ligne verte risquerait d’arriver rapidement à saturation sans un lien direct additionnel vers le centre-ville.

On peut voir dans la suppression de la branche vers le centre-ville à la fois un manque d’imagination et un manque de vision.

Pourquoi ne pas faire maintenant ce qui devra nécessairement être fait plus tard à plus grands coûts? D’aucuns affirmeraient même qu’il ne s’agit là que d’un nécessaire rattrapage pour des décennies d’inaction en transport en commun.

On pourrait voir là une forme d’entêtement orgueilleux de la part du gouvernement caquiste, refusant une fois de plus l’esprit du projet de « ligne rose » du métro porté par Valérie Plante depuis 2016.

Avec toujours le même prétexte, celui des coûts, alors que les besoins pour les secteurs concernés sont criants et justifient amplement un mode de transport plus structurant que des lignes d’autobus.

Des problèmes qui persistent

De tous les problèmes que comptait la version du REM de l’Est présenté par la Caisse de dépôt, plusieurs ont été atténués ou carrément éliminés en faisant sauter le segment vers le centre-ville.

Toutefois, une grande faiblesse du projet initial n’a été que très rarement relevée : la taille réduite des trains et des stations. En effet, alors que les stations du REM « de l’Ouest » permettent d’accueillir des trains à quatre voitures (pouvant contenir jusqu’à 780 passagers selon les chiffres de CDPQ-Infra), celles prévues à l’est n’étaient conçues que pour des trains à deux voitures (donc environ 390 passagers par train).

Or, si l’intention du gouvernement est d’amener les gens à délaisser la voiture et, éventuellement, d’étendre le réseau à Laval et en direction de Repentigny et Mascouche, il faudra de la capacité. Beaucoup de capacité.

Planifier un réseau à 10 milliards $ (au bas mot), mais qui rencontrerait vite son point de saturation serait une erreur monumentale. Cela pourrait éventuellement nuire à la volonté de mener d’autres projets publics d’envergure. Il faudra donc concevoir des stations (et des trains) d’une taille conséquente.

Si l’intention du gouvernement est d’amener les gens à délaisser la voiture, il faudra de la capacité. Beaucoup de capacité.

Par ailleurs, une autre insuffisance du projet initial, qui a fait l’objet de revendications de la part d’élu·es et de citoyen·nes, était l’absence de service pour Rivière-des-Prairies. Alors qu’il fait partie intégrante de Montréal et qu’il compte 58 000 habitant·es (soit à mi-chemin entre les arrondissements de Verdun et Lachine), ce secteur de la ville ne bénéficie d’aucun mode de transport structurant digne de ce nom, forçant les gens qui y habitent à utiliser la voiture pour se déplacer dans l’agglomération.

Le rapport préliminaire envisage heureusement un tel prolongement, suggérant que cela amènerait au bas mot 20 % d’achalandage supplémentaire sur la ligne. Il ne devrait même pas y avoir de débat à ce sujet : offrir un service digne de ce nom à tous les secteurs de la ville est une nécessité.

Plaidoyer pour l’ambition

Il serait grand temps que le discours politique autour des grands projets de transport en commun arrive au 21e siècle. L’ambition devrait dorénavant être le mot d’ordre, si on prend au sérieux les défis qui nous attendent en matière de transformation de nos habitudes de transport pour limiter nos émissions de GES et développer des quartiers à échelle humaine. Ces transformations doivent survenir aussi bien dans la métropole que dans les villes de banlieue.

Au mois de décembre, la mairesse Valérie Plante rappelait son souhait que l’est de Montréal bénéficie d’un lien direct avec le centre-ville. Il est loin d’être trop tard pour élargir le mandat du groupe de travail du REM, auquel la Ville de Montréal participe pleinement, pour qu’il se penche sur la question.

On doit maintenant passer du souhait à la demande : exiger un réseau de transport à la hauteur des besoins de la métropole n’est pas un caprice, une fantaisie, mais bien une nécessité.