Cette semaine, des statistiques horrifiantes sur les conditions de vie des animaux ont dévoilé la quantité d’animaux abattus pour la consommation en 2022 au Canada. Dans le dossier « Bien-être animal » du Devoir, on peut lire que c’est un nombre record de plus de 854 millions de bêtes qui ont été sacrifiées sur l’autel de nos roast-beefs et autres quarts de poulet cuisse. Ce chiffre violemment élevé représente plus de 100 fois la population humaine mondiale.
S’ajoute à ma réflexion un article du journal Le Soleil (qui faisait aussi office de une, dans la version papier) paru à la toute fin de décembre et qui dressait un palmarès de dix objets pour représenter l’année 2022. « L’objet » élu en première position n’était autre qu’une vache, en référence au désormais célèbre troupeau en fuite.
Un camion, un drapeau, une vache, un passeport… Au-delà de symboliser l’année passée, cette énumération d’« objets » témoigne d’une déconsidération très répandue des animaux de ferme.
Et si, en ce début d’année, nous troquions les traditionnelles (et souvent grossophobes) résolutions de perte de poids pour plutôt favoriser une remise en question de notre rapport à la viande?
Chairs décevantes
Cet automne, Loounie (Caroline Huard), créatrice de contenu spécialisée en cuisine végane, abordait une tendance récente qui consiste à intégrer à son buffet d’Halloween un faux bras en lanières de prosciutto. Loounie déplorait l’étonnement du public face au réalisme de ce hors-d’œuvre thématique : « C’est réaliste parce que le prosciutto, c’est littéralement de la chair », affirme-t-elle dans une courte vidéo sur le sujet.
C’est plus confortable de ne pas y penser, mais il importe de se reconnecter avec l’origine des pièces de viande enrubannées de cellophane qui se retrouvent sur les étalages de nos épiceries, tout comme sur la provenance des autres produits alimentaires de source animale.
Je mets quiconque au défi de visionner des vidéos de vaches séparées de force de leur veau, sans avoir les yeux embués par la détresse de ces mères déchirées.
L’homme de la maison possédait autrefois sa femme au même titre qu’il possédait ses animaux.
Loin de moi l’idée d’abuser d’anthropomorphisme, mais il faut tout de même réaliser que le coût d’un latte, au-delà du pourboire laissé au barista, c’est aussi qu’il a fallu créer une vie pour l’obtenir (les vaches doivent avoir une progéniture pour produire du lait, comme tous les mammifères). Je trouve ça très onéreux sur le plan éthique.
Audacieuse comme une vache de Saint-Sévère
Je dois avouer que, même si je prends acte des impacts négatifs de leur fuite, j’étais secrètement inspirée par le troupeau des vaches renégates de Saint-Sévère. Je me suis prise à y voir le symbole d’une rébellion contre l’asservissement bovin, mais surtout le reflet d’une reprise d’agentivité.
Dans le Dictionnaire critique du sexisme linguistique, la rubrique « Vache » atteste bel et bien du lien entre les enjeux féministes et la question animale. Historiquement, c’est en effet une logique patriarcale qui a servi de pierre d’assise pour dominer et opprimer les deux groupes : l’homme de la maison possédait autrefois sa femme au même titre qu’il possédait ses animaux.
Ce n’est pas pour rien que l’insulte « vache » est employée pour dévaloriser une femme : l’invective tire son potentiel d’humiliation dans la servitude et le musèlement des vaches laitières (et donc, des vaches femelles) dont on ne tolère aucun écart de conduite.
Je sais que le troupeau de Saint-Sévère ne s’est pas consciemment prononcé contre le patriarcat ni n’a souhaité contribuer à la cause féministe, mais le départ de ces bêtes demeure un geste audacieux de reprise de contrôle qui contribue à accroître mon estime pour leur espèce. Il permet de réévaluer la connotation du terme « vache »… et les éloigne éminemment du statut d’objets inanimés destinés à figurer sur un hit-parade de revue d’année.
Mâle = carnivore?
Changer notre rapport à la viande, c’est donc poser une réflexion sur la connotation sociale et culturelle des animaux de ferme et sur les racines de l’imaginaire carnivore. Nous associons encore beaucoup viande et virilité.
Il faut remettre en cause ce stéréotype du mâle alpha qui ne se nourrit que de steaks saignants déchiquetés à pleines dents.
Pas plus tard que cet automne, la semaine thématique « Barbecue » de l’émission Un souper presque parfait n’opposait que des compétiteurs masculins, tout comme le défi barbecue d’Occupation double Martinique n’était destiné qu’à la maison des gars. Aucun des menus de ces deux émissions n’incluait de grillades végétariennes, bien entendu.
Il faut remettre en cause ce stéréotype du mâle alpha qui ne se nourrit que de steaks saignants déchiquetés à pleines dents, notamment parce que le sous-texte de cette injonction associe indûment la consommation de viande à la force physique qui serait obligatoire pour la gent masculine. De facto, ce cliché sous-entend que le végétarisme ou le véganisme serait l’alimentation des plus faibles.
Personne n’échappera sa masculinité (ni ses capacités physiques, d’ailleurs) entre deux bouchées de tofu teriyaki, promis juré.
Équilibre
Souhaiter de la part de tous et toutes une transition intégrale vers une alimentation végétarienne ou végane serait irréaliste à bien des égards. J’appelle plutôt à intégrer ne serait-ce qu’un repas végétarien par semaine à son menu.
Et à réfléchir au sens des injures, souvent sexistes, sur le thème des noms d’animaux (« vache », « bitch », « poule pas de tête », etc.). L’idée serait de revenir vers une sorte d’équilibre aux bénéfices multifacettes : nutritifs, financiers, écologiques, éthiques.
Plusieurs seraient probablement surpris·es de constater qu’on peut retrouver dans les recettes végétariennes ou véganes l’équivalent de plusieurs repas traditionnels : ragoûts, tofu façon « poulet au beurre », vol-au-vent, cretons et grillades sont encore à votre portée.
Allons, pas game d’être intrépides comme une vache et de vous régaler végé!