Bien des gens ont le réflexe de nommer l’immigration comme cause principale de la crise du logement au Québec.
Dans l’histoire, ce réflexe de pointer l’immigration comme cause d’un problème – quel qu’il soit – se répète fréquemment. Cette attitude aboutit généralement à des résultats peu reluisants.
Cela dit, si on s’attarde rationnellement à l’argument, il est évident que l’immigration n’est pas plus une cause de la crise du logement que le nombre de naissances au Québec, le célibat ou encore que la hausse de l’espérance de vie. Après tout, si ce l’était, la crise du logement durerait depuis des décennies étant donné que l’immigration est incessante.
De plus, les villes et les villages ne recevant pas ou peu de personnes issues de l’immigration seraient protégés de la crise du logement. Ce n’est pas le cas : la crise fait rage partout au Québec, qu’il y ait de l’immigration ou non, et ce, du Nunavik à Montréal en passant par les Îles-de-la-Madeleine et le Saguenay.
Le marché privé
Dans les faits, les causes de la crise sont intrinsèquement liées au marché de l’immobilier. Effectivement, puisque le gouvernement laisse au libre marché le soin de s’occuper de l’habitation, l’offre de logements n’est rien de moins que le résultat des intérêts de ceux qui ont les moyens de prendre le contrôle du marché.
En effet, s’il est intéressant pour un investisseur de construire du condo, mais pas de logement locatif, il se crée du condo, mais pas de logement locatif.
S’il est intéressant pour un propriétaire de transformer des logements locatifs en copropriétés divises et indivises, des milliers de logements sont ainsi transformés et perdus. À ce sujet, notons que le quartier de La Petite-Patrie à Montréal a perdu environ 20 % de ses logements locatifs principalement pour cette raison, et ce, seulement entre 1991 et 2013.
Les causes de la crise sont intrinsèquement liées au marché de l’immobilier. Le gouvernement laisse au libre marché le soin de s’occuper de l’habitation.
S’il est plus rentable de louer des logements sur des plateformes de location de courte durée comme AirBnb : pouf! Magie! Montréal perd 10 523 autres logements.
S’il est plus intéressant d’évincer des locataires aîné·es qui payent un loyer raisonnable, pour poser un beau comptoir neuf et relouer le même logement à 1400 $ par mois, devinez ce qui arrive.
Manque de logements véritablement abordables pour les ménages à modeste et à faible revenu, pénurie encore plus grande de logements sociaux, construction de condos trop petits et trop chers, transformation de logements en condos, location de logement via AirBnb, voici tous les ingrédients nécessaires à la crise du logement vécue par les locataires.
Notons que l’immigration ne fait pas partie de l’équation.
Les locataires abandonné·es par les gouvernements
De plus, il semble pertinent de rappeler que les politiques récentes des gouvernements en matière de logement sont principalement responsables de la pénurie de logements locatifs encore abordables et de logements sociaux. Ils abandonnent les locataires, les laissant sans alternative face au marché.
Des mesures visant un réel contrôle des loyers, le rachat de logements par le secteur sans but lucratif ainsi que la construction massive de logements sociaux nous auraient assurément préservés du drame auquel nous assistons actuellement.
Plutôt que des mesures de protection pour les moins bien nanti·es, les gouvernements ont opté pour le laisser-faire, ont disséminé de l’aide pour construire des logements qui s’avèrent finalement inabordables pour ceux et celles ayant des besoins impérieux de logement.
Finalement, ils ont préservé les intérêts des propriétaires-investisseurs.
Le droit au logement
Rappelons aussi que selon le Bulletin statistique sur l’immigration permanente au Québec, publié par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, bon an, mal an, la majorité des personnes issues de l’immigration sont accueillies en fonction de leur capacité à participer à l’économie, c’est-à-dire qu’elles sont admises via la catégorie « immigrant économique ». Disons-le clairement, ces personnes ont des ressources et, dans bien des cas, achètent une propriété plutôt que de louer un logement.
Pour d’autres personnes qui ont moins de chance, et qui sont parfois taxées à tort d’être « illégales », telles celles qui passent par le chemin Roxham, le parcours migratoire en est souvent un de survie. Elles sont dans l’obligation de fuir la guerre, de se sauver de catastrophes naturelles et de désastres économiques.
L’État doit s’assurer que les immigrant·es précaires soient logé·es convenablement, tout autant que leurs voisin·es hôtes.
Ironiquement, soulignons que les pays riches, dont le Canada, participent fréquemment aux maux que ces personnes fuient, ne serait-ce qu’en refusant d’assumer ses responsabilités en matière de lutte aux changements climatiques.
Disposant de peu de ressources, ces personnes devront louer des logements. Il nous semble évident que l’État doit s’assurer qu’elles soient logées convenablement, tout autant que leurs voisin·es hôtes.
En somme, la crise du logement est le reflet de la non-intervention gouvernementale et non pas de l’arrivée de personnes immigrantes.
Les gouvernements doivent mettre en place un grand chantier de logements sociaux, accompagné d’un contrôle des loyers pour stopper la crise du logement. Ils ont également l’obligation de mieux loger les mal-logé·es, qu’ils et elles soient migrant·es ou non.
Signataires
Rosalie Audet-Paradis, Association coopérative d’économie familiale – Appalaches Beauce Etchemins (ACEF-ABE)
France Boulanger, Action location, volet de Anti-Pauvreté Mauricie Centre-du-Québec (APMCQ)
Jean-Christophe Bureau, Infologis de l’Est de l’île de Montréal
Véronique Laflamme, Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Lizo Ginestet, POPIR Comité logement
Dominic Gosselin, Action Logement Pierre-De Saurel
Mario Mercier, Association des locataires de Sherbrooke
Charles-Olivier P. Carrier, Comité logement d’aide de Québec Ouest (CLAQO)
L’équipe du Comité Logement Montréal-Nord