« NON » à la Loi contre le travail forcé et « OUI » aux droits humains

Le Parlement étudie actuellement un projet de loi qui prétend lutter contre l’esclavage moderne. Bien que le Canada reconnaisse depuis longtemps l’existence de l’esclavage moderne et le fait que des entreprises canadiennes en profitent, le projet de loi à l’étude causera, paradoxalement, plus de tort que de bien.

Ayant reçu le soutien de tous les partis au dernier vote de la Chambre des communes, le projet de loi S-211 a franchi une nouvelle étape la semaine passée quand il a été adopté par le Comité permanent des affaires étrangères.

Ce projet de loi défaillant pourrait être adopté à tout moment, donnant l’impression que des actions sont prises pour mettre fin à l’esclavage moderne, alors qu’il n’en est rien.

Le projet de loi S-211 permettrait aux entreprises canadiennes de continuer, sans entrave, à faire des profits à partir d’opérations causant des torts aux peuples et à la planète.

Un projet de loi qui exige de faire rapport, mais non de mettre fin aux torts causés est, au mieux, inutile.

Les torts du Canada à l’étranger

Les torts causés à l’étranger sont significatifs. Il s’agit notamment de l’utilisation de travail forcé, par exemple, pour produire l’équipement de protection individuelle utilisé pendant la pandémie de COVID-19 au Canada.

Mais on parle aussi de contamination permanente du sol et de l’eau, et de tactiques comme la démolition de maisons et les viols collectifs, utilisées pour relocaliser de force des personnes afin de libérer l’espace pour les activités d’exploitation minière canadiennes.

Le mois dernier, vingt et une personnes ont lancé des poursuites contre une grande société minière canadienne en rapport avec des meurtres et des actes de torture qui seraient liés au personnel de sécurité de sa mine en Tanzanie.

Une loi qui bloque l’action véritable

En dépit de son titre, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement n’exige pas que les entreprises garantissent l’absence de travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement. Elle les oblige seulement à déclarer les mesures prises, s’il y a lieu, pour repérer le recours au travail forcé.

En vertu de cette loi, une entreprise pourrait donc se conformer à la loi en ne prenant aucune mesure ou en prenant des mesures nettement insuffisantes, et poursuivre ses activités comme si de rien n’était.

Entretemps, le momentum en faveur de l’adoption d’une loi efficace a été stoppé net.

En fait, un projet de loi qui exige de faire rapport, mais non de mettre fin aux torts causés peut être facile à adopter avec l’appui de tous les partis, mais il est, au mieux, inutile.

Le résultat probable de cette loi sera pire qu’« inutile ».

Un examen quinquennal mené par le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’homme portant sur une loi similaire au Royaume-Uni, le Modern Slavery Reporting Registry, n’a constaté « aucune amélioration importante dans les politiques ou les pratiques des entreprises » et a conclu qu’« elle n’a pas été un moteur efficace d’action de la part des entreprises pour mettre fin au travail forcé ». Entretemps, le momentum en faveur de l’adoption d’une loi efficace a été stoppé net.

Les député·es devraient voter contre le projet de loi S-211.

Passer une loi qui a du mordant

Il existe une alternative : une loi qui irait au-delà du simple rapportage.

Le projet de loi C-262, la Loi sur la responsabilité des entreprises de protéger les droits de la personne, devrait être présenté au Parlement au début de 2023. Ce projet de loi, contrairement au projet de loi S-211, exigerait que les entreprises préviennent et identifient les risques potentiels pour les peuples et pour la planète, qu’elles prennent des mesures pour mitiger et adresser ces risques et qu’elles assurent l’accès à des recours pour les personnes affectées.

La loi devrait donner accès à des recours juridiques si une entreprise ne respectait pas ses obligations.

Avec le projet de loi C-262, si une entreprise violait les droits et détruisait l’environnement, les personnes affectées auraient le droit de déposer une poursuite civile contre elle devant une cour canadienne. Ce projet de loi rendrait les entreprises responsables et donnerait accès à des recours juridiques si une entreprise ne respectait pas ses obligations.

Le Canada doit impérativement mettre en place une loi qui exige aux entreprises de modifier leurs comportements, et non seulement d’en rendre compte.

Des lois semblables sont déjà en vigueur ou en cours d’élaboration dans plusieurs pays, dont la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Cette approche est également préconisée par plus de 100 universitaires et expert·es juridiques canadien·nes et par plus de 200 organisations et syndicats au Canada et dans le monde entier qui représentent les personnes touchées par les activités d’entreprises canadiennes dans 32 pays.

Le Parlement a une réelle occasion de prévenir les abus liés à des entreprises canadiennes à l’étranger. Pour ce faire, les député·es doivent toutefois voter « non » au projet de loi S-211 et adopter une loi qui permettrait réellement de mettre fin aux violations des droits humains et à la destruction environnementale dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes.

Emily Dwyer est directrice des politiques au Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises (RCRCE).

Amélie Nguyen est coordonnatrice au Centre international de solidarité ouvrière (CISO).

Jean Symes est analyste des politiques à Inter Pares.