La série Chouchou, présentée récemment sur les ondes de Noovo, propose une représentation faussée de la pédocriminalité. Son scénario tend à romantiser et à érotiser une relation d’exploitation sexuelle entre un jeune de 17 ans et son enseignante de français.
En 2019 au Québec, 62 % des victimes d’agressions sexuelles avaient moins de 18 ans. Pour parler des agressions et des viols qui s’inscrivent dans une relation d’autorité entre deux personnes, le terme privilégié par loi au Québec et au Canada est celui d’exploitation sexuelle.
Une recherche du Centre canadien de protection de l’enfance, parue le 2 novembre 2022, s’est penchée sur l’exploitation sexuelle dans les écoles primaires et secondaires canadiennes et a recensé environ 550 enfants victimes de membres d’un établissement scolaire entre 2017 à 2021. C’est donc 252 membres du personnel d’écoles primaires et secondaires qui sont visés par des dénonciations d’abus sexuel.
Plusieurs cas d’exploitation sexuelle impliquant des entraîneurs ou des professeurs ont été médiatisés cette dernière année.
Cet enjeu est aussi au centre de l’une des séries coup de cœur du public québécois, Chouchou. Scénarisée par Simon Boulerice, présentée à Noovo cet automne et disponible sur Crave, la minisérie aborde cependant cet enjeu de manière tronquée et dangereuse.
Distance avec la réalité sociale
Toutes les statistiques le démontrent : les agressions sexuelles sont très majoritairement commises par des hommes à l’égard de femmes et de jeunes filles. Le taux d’emprisonnement des agresseurs est extrêmement faible et les procédures judiciaires longues et pénibles pour les victimes.
Dans la série Chouchou, le scénario montre le contraire. L’agresseur est une femme adulte de 37 ans (Chanelle), sa victime est un jeune garçon de 17 ans (Sandrick) et une condamnation en justice a lieu très peu de temps après le premier signalement à la police.
Le scénario conduit les téléspectateur·trices à envisager le cas d’exploitation sexuelle porté à l’écran comme relavant de questions éthiques dont il serait possible de débattre. La victime est présentée comme cherchant activement à séduire son agresseuse, ce qui renforce le stéréotype de l’enfant séducteur, déjà très présent au cinéma.
La relation de domination entre Chanelle et Sandrick, bien qu’elle ait été nommée à quelques reprises par certains protagonistes, reste dissimulée derrière une grande histoire d’amour. En visionnant la série, on finit presque par oublier qu’il n’y a pas de consentement possible dans une relation d’autorité et que ce qui est à l’écran, c’est de la pédocriminalité.
Le scénario présente le cas d’exploitation sexuelle comme relavant de questions éthiques dont il serait possible de débattre.
La série nous pousse aussi à ressentir de l’empathie pour Chanelle et à essayer de la comprendre.
Nous nous questionnons sur la pertinence de présenter la pédocriminalité sous cet angle, dans un contexte où le cinéma participe de manière centrale à l’élaboration de représentations sociales communes. Nous soutenons que la dissonance cognitive suscitée par la série nuit grandement à une prise de conscience collective de l’exploitation sexuelle dans les milieux scolaires.
Romantisation
Nous estimons aussi que le regard posé sur le corps de la victime pousse les téléspectateur·trices à le sexualiser et à l’érotiser. La récurrence des scènes de sexes entre la victime et son agresseuse ainsi que les musiques qui les accompagnent sont très largement questionnables.
Le premier viol porté à l’écran se déroule quelques instants après que Sandrick a été violenté physiquement par sa propre mère. D’ailleurs, c’est presque un rôle maternel que Chanelle endosse vis-à-vis de Sandrick. Elle l’accueille chez elle au sein de sa famille, lui offre un emploi dans l’entreprise de son mari, le console et lui fait à manger. Le scénario nous laisse croire que cet amour maternel se transforme en désir sexuel.
Comme l’explique Iris Brey dans La culture de l’inceste, « il existe un lien continu entre la culture pédocriminelle et la culture de l’inceste ».
La série perpétue l’idée très largement répandue que derrière l’inceste, il y aurait de l’amour.
Dans Chouchou, Sandrick fait presque partie de la famille de Chanelle. Cela fait directement écho à la définition légale de l’inceste établie par un pays comme la France, soit une situation où une personne utilise sa position d’autorité pour commettre une agression dans le cadre de la famille au sens élargi.
L’inceste constitue « le point d’aveuglement de nos sociétés et de nos arts », selon Iris Brey. La série Chouchou n’y fait pas exception. Tous les éléments sont présents pour qu’il soit possible de parler d’inceste, et pourtant, le sujet est totalement passé sous silence.
Pire encore, la série perpétue la culture de l’inceste en la romantisant. Elle perpétue l’idée très largement répandue que derrière l’inceste, il y aurait de l’amour.
Notre volonté ici n’est pas de condamner la série, mais de provoquer un questionnement. Quelles sont les conséquences, pour les personnes victimes d’inceste et pour le reste de la population, de porter à l’écran une vision faussée et romantisée de ce que sont vraiment les violences sexuelles sur les enfants?
Le cinéma et la télévision sont des vecteurs de changement social et de prise de conscience collective, il est donc primordial de s’interroger sur les représentations sociales qu’ils portent à l’écran.
Zénaïde Berg est doctorante en sociologie à l’Université de Montréal. Cyndelle Gagnon est étudiante en éthique appliquée à l’Université Laval.