Le transfert des dossiers de la lutte contre l’homophobie et la transphobie du ministre de la Justice à la ministre de la Condition féminine, la semaine dernière, inquiète le milieu communautaire. Malgré les inquiétudes, nous nous trouvons devant une opportunité politique inédite pour renforcer nos communautés et notre capacité politique institutionnelle.
Il y a quelques semaines, j’ai eu le plaisir de rencontrer Zakary et Marie du réseau Enchanté, une coalition pancanadienne d’organismes 2SLGBTQI+. Cette organisation assez récente – la première année d’opération remonte à 2019, sauf erreur – a déjà eu un impact significatif au sein de la communauté grâce à ses différents programmes, dont des micro-subventions pour les organisations de proximité.
Accordées dans la foulée du Fonds de développement des capacités communautaires de Femmes et égalité des genres Canada, ces subventions permettent à des communautés de se doter d’outils et de renforcer leur capacité d’action sans devoir passer par un lourd processus de reddition de comptes. Selon le plan d’action fédéral adopté cette année, ce fonds devrait d’ailleurs être substantiellement majoré – 40 millions $ – dans les prochaines années.
Ce qui n’est pas banal, c’est que la lutte contre l’homophobie et la transphobie passe aux mains d’une ministre sans ministère.
Une ministre sans ministère
Femmes et égalité des genres Canada, c’est un ministère à part entière auquel se rattache le Secrétariat 2ELGBTQI+. Au niveau provincial, les questions LGBT se gèrent plutôt au niveau du Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie au sein du ministère de la Justice.
Enfin, c’était le cas jusqu’à récemment, puisque François Legault a annoncé que le dossier serait transféré à Martine Biron, ministre responsable de la Condition féminine.
Une fois les élections passées, c’est assez banal de voir les ministères changer de main. Dans le cas de la CAQ, c’est presque une maladie, avec les député·es vedettes et la multiplication des adjoint·es pour s’assurer que tout le monde ait son petit bout de tarte – on a quand même droit à une ex-relationniste d’Air Canada comme ministre de l’Enseignement supérieur, ça ne s’invente pas.
Ce qui n’est pas banal, c’est que la lutte contre l’homophobie et la transphobie passe aux mains d’une ministre sans ministère.
Parce qu’au Québec, le Secrétariat à la condition féminine ne jouit pas des pleins pouvoirs d’un véritable ministère. Organe consultatif et aviseur, il assiste la ministre responsable dans l’application des lois existantes. Il n’a donc aucun pouvoir exécutif, une situation que dénoncent de nombreux groupes féministes et communautaires.
Quid de l’égalité juridique ?
Ce changement de garde n’est pas sans conséquence. D’abord, il s’agit d’une rupture avec la convention établie sous le second gouvernement Charest et maintenue par tous les partis depuis.
Le but avoué derrière le fait de déléguer les questions LGBTQIA2S+ à la Justice, c’était de faire progresser l’égalité juridique.
Une rupture qui survient à un moment charnière, puisque le plan d’action gouvernemental de lutte contre l’homophobie et la transphobie arrive à échéance cette année et devra être renouvelé. Est-ce le signe d’une volonté de s’aligner sur la stratégie fédérale en créant un ministère à part entière ? Difficile de déchiffrer les intentions d’un gouvernement connu pour son manque répété de collaboration avec la communauté – pensons à l’épisode du projet de loi 2 il y a un an.
Ensuite, le but avoué derrière le fait de déléguer les questions LGBTQIA2S+ à la Justice, c’était de faire progresser l’égalité juridique. Plusieurs modifications législatives ambitieuses ont été menées à terme sous ce régime, dont la modification du Code civil pour retirer l’exigence de chirurgie au changement de mention de sexe en 2013, l’interdit de discrimination pour des raisons d’identité et de présentation de genre à la Charte québécoise en 2016, ou encore, cette année, la modification du Code civil pour ajouter une mention de sexe non binaire et retirer l’exigence de citoyenneté pour changer de mention de sexe.
Il ne faut pas oublier la seconde partie du projet de loi 2, qui devait notamment encadrer la gestation pour autrui, mais qui a été abandonnée à la fin de la session parlementaire. Même si elle a été critiquée pour avoir laissé la pluriparentalité en plan, cette réforme du droit de la famille est sans doute l’enjeu le plus significatif pour l’avancement de l’égalité juridique des personnes 2SLGBTQIA+ au Québec en ce moment. Et on n’a aucune idée si elle sera remise au feuilleton.
Définir le rôle de l’État
En bout de ligne, que ce soit par l’intégration au secrétariat de la Condition féminine ou par le maintien au sein du ministère de la Justice, ce qui est en cause, c’est de définir la part de l’État dans la poursuite de l’égalité juridique et matérielle pour les personnes 2SLGBTQI+.
Est-ce le signe d’une volonté de s’aligner sur la stratégie fédérale en créant un ministère à part entière ?
Or, on sait très bien que le gouvernement, comme les entreprises privées, tend à favoriser une approche assimilationniste, orientée vers la sensibilisation et la formation des personnes cishétérosexuelles en position de pouvoir, plutôt que de renégocier les hiérarchies existantes. En ce sens, l’intégration à la Condition féminine est de mauvais augure parce qu’elle signale une distanciation par rapport à l’approche légaliste des questions LGBT. On peut en effet se demander s’il ne serait pas plus simple de piloter une réforme de la famille depuis le ministère de la Justice.
Au contraire, l’établissement d’un ministère à part entière ouvrirait enfin la porte à une approche transversale, qui s’attaquerait aux secteurs les plus cruciaux pour les personnes 2SLGBTQIA+ comme le logement, l’emploi, l’accès aux soins et la sécurité alimentaire, par exemple.
Plutôt que de se surprendre du choix du gouvernement Legault, il serait peut-être opportun de saisir le momentum créé par ce mouvement de personnel pour se rallier aux revendications des groupes de femmes et d’exiger notre propre ministère des Droits des femmes et de l’Égalité. Une alliance qui pourrait aussi s’avérer précieuse pour mieux préparer le retour des débats législatifs entourant la gestation pour autrui.