Se voiler les yeux

CHRONIQUE | Contrairement à ce que Denise Bombardier laisse croire, on retrouve des messages de solidarité avec les Iraniennes chez les organisations féministes d’ici, y compris celles qui sont critiques de la Loi sur la laïcité de l’État.

Pendant que les Iraniennes manifestent au risque de leur vie pour le droit de porter ou non le hijab dans l’espace public, en réponse à la mort de Jîna Mahsa Amini interpellée par la police pour ne pas l’avoir porté selon les règles, Denise Bombardier signait dans le Journal de Montréal un billet d’humeur intitulé « Confusion parmi les féministes militantes ». Elle s’en prenait aux féministes québécoises pour « leur silence face à la répression sanglante qui a lieu actuellement en Iran ».

Elle en profitait surtout pour critiquer les féministes d’ici opposées à la Loi sur la laïcité de l’État, qui prend prétexte de la laïcité pour empêcher les musulmanes portant le hijab d’occuper certains emplois de la fonction publique. La chroniqueuse ne cachait pas son mépris pour « l’indigence intellectuelle » de ces féministes « sans éducation et sans culture » qui « professent des “opinions” qui sont plutôt des “feelings” » au diapason de « l’air du temps. » À croire que Denise Bombardier ne s’abaisserait jamais à pareille pratique. Oh! Que non!

Et pourtant.

L’air du temps

L’idée que des féministes occidentales n’osent pas appuyer le mouvement de révolte en Iran circule depuis des semaines dans les médias en France, par exemple dans le magazine d’extrême droite Causeur.

Or, quelques minutes suffisent pour trouver sur les médias sociaux des associations féministes qui appuient les Iraniennes révoltées et dénoncent la violence sexiste de la théocratie iranienne. C’est le cas de groupes aussi différents qu’Osez le féminisme, les « colleuses » de Strasbourg, et Solidarité femmes de Guadeloupe ou encore de l’afroféministe Rokhaya Diallo.

Et au Québec?

Contrairement à ce que l’« opinion » de Denise Bombardier laisse croire au sujet du Québec, on retrouve aussi des messages de solidarité avec les Iraniennes sur les médias sociaux d’organisations féministes, y compris celles qui sont critiques de la Loi sur la laïcité de l’État.

La Fédération des femmes du Québec (FFQ), par exemple, a publiquement appuyé le « Freedom Rally for Iran : ces manifestations auront lieu partout dans le monde afin de supporter nos consœurs courageuses qui combattent pour exiger le droit à l’autodétermination, le contrôle de leur corps et la liberté! » Deux jours plus tard, la FFQ réaffirmait être « solidaire des militantes et militants en Iran qui risquent leur vie pour exiger justice pour le meurtre de Mahsa Amini ».

Pour sa part, L’R des centres de femmes du Québec, un organisme national qui regroupe plus de 80 centres dans la province, relayait l’appel de Nimâ Machouf, Léa Clermont-Dion et Françoise David à « participer à la grande manifestation » du 22 octobre à Montréal « en appui au soulèvement des Iraniennes ». Un moins plus tôt, L’R des centres de femmes relayait déjà l’appel à participer à une chaine humaine à Montréal en solidarité avec les Iraniennes.

D’autres organisations comme les Colleuses féministes de Montréal ou des individus comme Martine Delvaux ont exprimé publiquement leur solidarité avec les femmes iraniennes.

Ce qui ne les empêche pas de reconnaitre que la Loi sur la laïcité de l’État affecte tout particulièrement les musulmanes qui portent le hijab, en les excluant de certains emplois publics, apparemment pour leur plus grand bien.

Denise Bombardier préfère instrumentaliser la lutte des Iraniennes pour décrédibiliser certaines féministes d’ici qui défendent pourtant la liberté vestimentaire pour les femmes d’ici et d’ailleurs.

Lors des débats au sujet du projet de Loi sur la laïcité, L’R des centres de femmes avait ainsi transmis au gouvernement du Québec des « commentaires racistes, islamophobes, sexistes et violents, portant même sur le nettoyage ethnique » vus ou reçus par des femmes sur Internet. « Les travailleuses des centres de femmes qui accueillent des dizaines de femmes chaque jour nous disent que les femmes racisées sont victimes de discriminations importantes et de violences. Cette violence est actuellement intrinsèquement liée à la loi sur le port de signe religieux. »

L’R des centres de femmes et la FFQ ont cosigné avec d’autres un communiqué au mois d’août dernier suite à un sondage mené trois ans après l’adoption de la Loi sur la laïcité, et révélant que « les femmes musulmanes sont fortement affectées dans les quatre dimensions de la vie qui ont été étudiées (acceptabilité et acceptation; haine et sécurité; citoyenneté; épanouissement, bien-être et espoir). […] 73 % des femmes musulmanes disent que leur sentiment de sécurité s’est détérioré ».

Le communiqué rappelle aussi qu’« alors que la Loi 21 [sur la laïcité de l’État] est présentée comme une loi féministe, l’appui chez les femmes est inférieur de presque 10 % par rapport aux hommes (femmes : 59 % vs hommes : 68,5 %), surtout chez les femmes de 18 à 44 ans chez qui l’appui est sous le seuil de la majorité ».

Les régimes politiques iranien et québécois ne sont évidemment pas similaires. Mais il est tout à fait cohérent d’être critique de ces deux États, au nom de la même liberté des femmes et de l’égalité entre les sexes.

Ce n’est de toute évidence pas le « feeling » de Denise Bombardier, qui préfère instrumentaliser la lutte des Iraniennes pour décrédibiliser certaines féministes d’ici qui défendent pourtant la liberté vestimentaire pour les femmes d’ici et d’ailleurs.

Du côté des gars

Comme on peut toujours compter sur le Journal de Montréal pour dénoncer les pires injustices sociales, trois de ses chroniqueurs vedettes ont choisi – pendant que les Iraniennes manifestent – de prendre la défense du costume d’Halloween d’infirmière sexy. C’est que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) a déploré que ce type de costume dévalorise la profession d’infirmière, ce qui a semé l’émoi chez Mathieu Bock-Côté, Joseph Facal et Richard Martineau.

Pour Mathieu Bock-Côté, par exemple, pareille déclaration de l’OIIQ relèverait d’une « nouvelle morale particulièrement répressive », d’une « nouvelle police des mœurs » et même d’une « tyrannie des susceptibles », rien de moins. Mathieu Bock-Côté aura-t-il le courage de descendre dans la rue costumé en infirmière sexy, pour contester pareilles répression, police et tyrannie? 

Mais il n’a sans doute pas le temps de lutter contre cette terrible tyrannie qui nous opprime au Québec, car à Paris il débat à la télévision du « déclin de l’élégance à la française et du renouveau de l’art sartorial », soit le style des tailleurs.

Et pendant ce temps, à Téhéran…

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