Ce dimanche, alors que les résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle brésilienne se feront attendre, l’Amérique latine et le monde retiendront un peu leur souffle. Après quatre ans de « gouverne » – si on peut l’appeler ainsi – catastrophique et catastrophiste du président d’extrême droite Jair Bolsonaro, il paraît maintenant comme une évidence pour beaucoup que sa réélection serait une défaite pour notre planète et l’ensemble de l’humanité.
Même si la carrière « pré-présidentielle » du petit capitaine Bolsonaro indiquait parfaitement ce à quoi on pouvait s’attendre, pour les entreprises canadiennes et notamment le gouvernement Trudeau, son ascension était vue comme une opportunité.
À tel point qu’au lendemain de son élection la CBC publiait un article, qui avait au moins le mérite d’être honnête, intitulé « Ce que signifie une présidence d’extrême droite au Brésil pour les entreprises canadiennes? ». En quelques lignes trépidantes, dont l’enthousiasme était à peine voilé, on comprenait que malgré son penchant mortifère, l’agenda de Bolsonaro annonçait le retour des « bonnes affaires ».
Quatre ans plus tard, après un laissez-faire pandémique qui a coûté quasiment 700 000 vies, une guerre écocidaire sans précédent logée contre l’Amazonie et ses peuples, sans parler d’un népotisme et d’un banditisme sans limites, il faut bien admettre que s’il y a une actualisation du logiciel fasciste en ce début du 21e siècle, elle se trouve probablement sous les tropiques brésiliens.
Entre fanfares et pompes funèbres : le Canada allié du bolsonarisme
Pour les Brésilien·nes des favelas, pour les communautés afro-descendantes, pour le nord-est du pays, majoritairement noir et plus défavorisé, pour les peuples indigènes de l’Amazonie qui défendent leurs terres ancestrales – et j’en passe –, la présidence de Jair Bolsonaro s’est déroulée au rythme d’une procession funèbre.
Pour le Canada et ses « fleurons », le beat était tout à fait distinct. Profitant du sac et du pillage de la richesse naturelle du Brésil, les grandes multinationales canadiennes n’avaient d’yeux que pour les nouveaux marchés défrichés par « Jair le conquérant ».
Confronté à un coup judiciaire contre l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva, digne d’un tribunal fantoche, selon le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, le Canada s’en lavait les mains. Après tout, Bolsonaro, comme la plupart de la droite « golpiste » qui a fait tomber les gouvernements progressistes dits de la « vague rose » durant les années 2010, avait l’appui du Groupe de Lima et donc du Canada.
Bolsonaro avait beau être un diable, c’était notre diable!
Étrange, n’est-ce pas? D’habitude, les superlatifs manquent à Justin Trudeau pour rendre compte de son amour pour un libéralisme multilatéraliste et démocratique ayant comme point cardinal le maintien des droits de la personne à travers le monde. Cependant, en Amérique latine, loin des caméras et des scènes illuminées des conférences internationales, notre gouvernement n’a aucun mal à venir en aide aux mouvements les plus anti-démocratiques, misogynes, racistes et réactionnaires.
Qui a peur de la solidarité internationale?
Malheureusement pour les bolsonaristas, le Canada et l’ensemble de la droite adulatrice de l’autoritarisme mondial, les mouvements populaires brésiliens n’ont pas ménagé leurs efforts dans les quatre dernières années. Si le candidat du Parti des travailleurs (PT), l’ex-président Lula, gagne dimanche, ce sera en grande partie grâce aux mouvements des femmes, des Afro-Brésilien·nes, des communautés indigènes, des travailleur·euses, qui n’ont cessé de se mobiliser pour contrer l’agenda réactionnaire de l’extrême droite brésilienne – sans aide aucune de nos démocraties « libérales », bien entendu.
Là où les démocraties occidentales ont failli, un mouvement de solidarité d’envergure internationale a pris le relais. Ici au Québec et au Canada, Niki Ashton, députée néo-démocrate fédérale et l’Internationale progressiste ont fait un ample travail de mobilisation de la gauche sur cette question. D’ailleurs au sein de l’Internationale progressiste, Jeremy Corbyn et Bernie Sanders ont tous les deux pris une position sans équivoque en faveur de Lula et en défense de la démocratie brésilienne.
La diaspora brésilienne, comme ici à Montréal, notamment à travers le Coletivo Brasil-Montréal, mais aussi à travers le monde, a aussi fait un travail colossal pour s’assurer que les yeux du monde restent rivés sur les exactions commises par le régime bolsonariste.
Alors que les journaux et les chroniqueurs nous rabâchent à longueur de journée que le monde est en proie à un glissement quasi imperceptible et inarrêtable vers l’autoritarisme, que l’ère est aux « hommes forts » et que nous n’avons qu’à nous y faire, le cri de résistance des Brésilien·nes sonne comme le glas de leur monde révolu, de leurs idées zombifiées, qui tentent un dernier soubresaut.
Finalement, ce ne sont peut-être pas les chevaliers blancs du libéralisme à la Justin Trudeau qui sauveront la démocratie, mais un bon vieux remède gauchiste : la solidarité internationale.
Notre Nord, c’est le Sud
Une victoire de Lula dimanche serait un moment sans égal de justice poétique. Pour Lula d’abord, sur un plan personnel, après avoir été destitué et emprisonné. Pour le « Brésil d’en bas », à qui on a répété sans cesse qu’après presque deux décennies de règne du PT, il était temps de « retrouver sa place naturelle », à la botte des élites blanches. Mais aussi pour la gauche mondiale, en mal cruel d’espoir.
Ce n’est pas sans rappeler, la première élection historique de Lula en 2002, alors que la « guerre contre le terrorisme » était à ses débuts et annonçait le début d’une ère ténébreuse. Une ère de désintégration de nos institutions démocratiques et de dissolution de notre solidarité sociale au nom de la « sécurité nationale ». Au même moment, l’Amérique latine, avec courage, décidait d’emprunter un autre chemin.
La première vague rose latino-américaine a démontré – malgré ses limites – qu’il était possible de bâtir un monde nouveau, un monde plus juste et équitable, doté d’une véritable solidarité entre les peuples, et tout ça pendant une des périodes les plus « noires » de l’histoire mondiale.
Alors qui sommes-nous pour être découragé·es?
A luta continua.