Là-bas, la jeunesse est à la tête du mouvement qui secoue la poigne de fer du régime islamique depuis septembre dernier. Les jeunes montréalais·es d’origine iranienne n’ont pas hésité à faire écho à leurs revendications.
Depuis plus d’un mois, le téléphone cellulaire de Shayan Asgharian vibre sans relâche. À 21 ans, il est membre du regroupement Femmes, Vie, Liberté et l’un des organisateur·trices de la manifestation qui s’est déroulée à Montréal samedi dernier en solidarité avec le mouvement qui s’oppose au régime islamique d’Iran depuis la mort de Mahsa Amini.
La jeune femme kurde-iranienne de 22 ans a succombé à des blessures infligées alors qu’elle était détenue en Iran en septembre dernier. Elle avait été arrêtée par la police des mœurs parce qu’elle ne portait pas adéquatement le voile, obligatoire pour les femmes sous le régime islamique. Sa mort a déclenché la plus grande mobilisation anti-gouvernement en Iran depuis la Révolution de 1979.
Le mouvement s’est depuis propagé au-delà des frontières iraniennes à travers la diaspora, dont à Montréal où plusieurs groupes et associations se sont regroupés sous un nouveau collectif nommé Femmes, Vie, Liberté.
C’est d’ailleurs le slogan qui retentissait sur le boulevard René-Lévesque samedi après-midi, en français, puis en anglais et en persan : « Zan, Zendegi, Aazadi! ». Une main peinte en rouge et l’autre agrippant une bannière sur laquelle on pouvait lire le même mantra, une vingtaine de bénévoles – surtout des jeunes – ont guidé la foule de 7000 personnes jusqu’à la place du Canada.
« On vivait tou·tes la même chose, on voulait faire une différence, on voulait que les gens soient au courant de ce qui se passe. »
Si Shayan confie qu’il a parfois douté de la capacité de la diaspora à contribuer réellement au changement, son scepticisme s’est envolé lorsqu’il a montré des vidéos de la manifestation à ses proches qui demeurent en Iran, à Sanandaj, dans l’une des régions les plus touchées par la répression.
« J’ai compris que ça avait un réel impact, que notre mobilisation avait le pouvoir de les motiver à continuer de sortir et de manifester », explique Shayan, qui est également président de l’Association des étudiants iraniens de l’Université Concordia. Pour lui et ses collègues du groupe Femmes, Vie, Liberté, qui ont dû faire de nombreux sacrifices personnels au cours des dernières semaines, c’est une raison amplement suffisante pour continuer de faire bouger les choses à Montréal.
Transformer la colère en action
Quelques jours avant la manifestation, le 20 octobre, c’était déjà au tour des étudiant·es du collège Dawson de se montrer solidaires lors d’un événement au cours duquel les participantes étaient invitées à se couper les cheveux – un geste désormais emblématique de la résistance face au régime iranien.
Pour les organisatrices, Kiana Lalavi, 18 ans, et Shaneli Yaghoubi, 20 ans, l’événement était un moyen de chasser le désespoir et de passer à l’action.
« C’était une montagne russe d’émotions », raconte Shaneli en contemplant la colère et le désespoir qui ont marqué les semaines depuis le début du mouvement en Iran. « C’est difficile d’être à l’extérieur de ton pays et de ne pas savoir quoi faire pour aider. »
La jeune femme a quitté son pays d’origine pour venir étudier à Montréal il y a quatre ans seulement. « Ça aurait pu être moi! », s’exclame-t-elle en pensant aux étudiant·es qui occupent aujourd’hui les universités de Téhéran, défiant la violence des forces de sécurité.
Ici à Montréal, « on vivait tou·tes la même chose, on voulait faire une différence, on voulait que les gens soient au courant de ce qui se passe », explique sa camarade Kiana.
Une série de textos, quelques rencontres et une poignée de nouvelles amitiés plus tard, une date était fixée.
Un mouvement uni à travers les générations
En dépit du danger auquel font face leurs proches qui participent aux manifestations en Iran, les deux jeunes femmes demeurent optimistes. « Malgré la répression violente, c’est la plus longue mobilisation que nous ayons connue en Iran depuis des années », souligne Kiana.
Là-bas également, ce sont les jeunes qui mènent le bal, appelant désormais à une nouvelle révolution et à la fin du régime islamique en place depuis 1979.
« C’est quelque chose qu’on dit de manière récurrente [dans la communauté], que cette génération ne se tait pas, elle réplique », remarque Shayan en faisant allusion aux jeunes qui font partie de la « Dahe Hashtadi », cette génération née entre 1999 et 2006 et qui a bénéficié d’une plus grande ouverture sur le monde, à travers l’Internet notamment.
« La fin du régime n’est que la première étape. C’est un point de non-retour et le vrai travail commence après. »
Pour Gayaneh Petrossian et Maryam Azimzadehirani, toutes deux membres de Femmes, Vie, Liberté, le mouvement actuel est aussi le résultat du travail d’activisme de la génération précédente, à laquelle elles appartiennent. Elles avaient d’ailleurs participé aux manifestations de 2009 en Iran qui contestaient le résultat des élections présidentielles.
Bien qu’elle était en bas âge à l’époque, la génération qui prend aujourd’hui le relais « se souvient de la répression du régime face aux manifestant·es », explique Maryam, journaliste de profession arrivée au Canada en 2017.
Les demandes du mouvement ont grandement évolué depuis le début de la mobilisation, souligne Mohammad Mohajerani, un autre membre de Femmes, Vie, Liberté. « Ce que veulent les Iranien·nes, c’est plus que le changement de régime, c’est un changement du système politique. Nous voulons un système séculaire. »
Shayan, Mohammad, Gayaneh et Maryam conviennent que l’étape la plus coriace demeure à venir. « La fin du régime n’est que la première étape. C’est un point de non-retour et le vrai travail commence après », conclut Mohammad, en référence aux efforts nécessaires pour construire un gouvernement démocratique.
Le moment venu, ils se disent tou·tes prêt·es à mettre la main à la pâte.