Amériques : le prix de l’indépendance et l’assaut désespéré de l’empire

CHRONIQUE | Pendant que nous succombons lentement à notre fatigue démocratique, le Sud global résiste.

Pendant que nous succombons lentement à notre fatigue démocratique, le Sud global résiste.

J’ai récemment pris conscience d’un beau problème dans l’exercice de mon travail de journaliste, problème qui s’est d’abord manifesté pendant ma carrière militaire.  

Jusqu’à aujourd’hui, je suis tombé en amour avec tous les pays où je me suis rendu – Bosnie, Afghanistan, Mali, Haïti, Venezuela.

Un·e psychanalyste de centre d’achats essaiera probablement d’y déceler un fétichisme de la misère, un syndrome du Sauveur blanc ou que sais-je – ce sont après tout des gens fort créatifs dans le domaine de l’étiquetage-minute, c’est probablement rassurant pour eux.

La principale raison pour laquelle je rejette d’emblée tels diagnostics (qui auraient pu être valides dans d’autres circonstances et qui le sont pour nombre d’autres journalistes, humanitaires, militaires ou autres), c’est qu’à chaque fois, je m’immerge dans la culture, les traditions, les coutumes des pays où je me trouve.

Je visite leur cuisine, leur littérature, leur cinéma, leur musique, leurs médias. La première chose que je fais en arrivant? Je ramasse un journal et je cherche la radio et la télé locale qui diffuse en anglais ou en français.

En Haïti, le peuple paie encore et toujours le prix de son indépendance alors qu’une possible nouvelle occupation militaire étrangère se profile.

Le plus souvent possible, je cherche un hébergement « chez l’habitant » ou un hôtel destiné à la population locale. Je fréquente leurs cafés et leurs restaurants, et non ces enseignes qui s’adressent avant tout aux touristes et aux « expatrié·es », expression servant à dorer l’image des Occidentaux qui habitent les pays du Sud global. Je me tiens loin des grands hôtels où logent la plupart des journalistes en affectation ponctuelle, sauf peut-être pour utiliser leur guichet bancaire ou pour marauder leur wifi.

Chaque fois, ces petites pratiquent sont venues transcender la raison pour laquelle je me suis d’abord trouvé dans le pays, que ce soit la guerre ou toute autre crise politique et sociale.

Et chaque fois, il me m’a été impossible de rester « détaché » des peuples qui habitent ces territoires embrasés, pillés, pilonnés – plus souvent qu’autrement par la main de l’Occident –, malgré que ce soit ce que nous demandent nos supérieurs, qu’ils soient officiers commandants ou rédacteurs en chef.

Haïti : l’Empire contre-attaquera-t-il?

Malgré tout ce qui se passe à l’est de chez nous, j’essaie tout de même de garder mon attention tournée vers le sud, au-delà des frontières de notre suzerain impérial, lui-même engagé dans son irréversible déclin.

En Haïti, Perle des Antilles ternie par l’oppression éternelle des puissances étrangères, le peuple paie encore et toujours le prix de son indépendance alors qu’une possible nouvelle occupation militaire étrangère se profile.

Le 15 octobre dernier, l’aéroport Toussaint-Louverture de Port-au-Prince accueillait sur son tarmac un transporteur stratégique CC-177 Globemaster canadien venu livrer des blindés destinés à la Police nationale. Aux États-Unis, Joe Biden a évoqué la possibilité de déployer une force d’intervention rapide (« QRF », ou « Quick reaction force » dans le jargon militaire), fort probablement leur 82e Division aéroportée.

Le Canada veut joindre son seigneur américain dans le paysagement de son arrière-cour.

Personne ne peut contester que le pays est en proie à une violence rarement vue, aux prises avec des gangs de mieux en mieux organisés et armés. Personne dans les hautes officines médiatiques et politiques, cela dit, ne semble prêt à admettre que le terreau a été rendu fertile par une histoire sanglante de répression et de soumission d’Haïti à la suprématie de ceux qui ont voulu s’en rendre maîtres, près de 220 ans après que les Louverture, Dessalines et Pétion aient humilié Napoléon et mis fin à l’esclavage dans le pays nouvellement souverain.

Haïti ne possédant aucune fabrique d’armes, d’où proviennent tous ces fusils d’assaut et mitrailleuses? On apprenait récemment qu’ils arrivent à pleines caisses depuis la Floride où, grâce à un laxisme étatique déguisé en droit fondamental, ils sont achetés légalement avant de prendre le chemin d’Haïti.

Un article de la militante québécoise et haïtienne Jenny-Laure Sully résume assez bien la situation dans la Perle, dont les affaires sont pilotées depuis une dizaine d’ambassades étrangères occidentales, dont celle du Canada, regroupées au sein du CORE Group. Cela, notamment à travers des pantins comme l’actuel président Ariel Henry, mais aussi ses deux prédécesseurs, Jovenel Moïse et Michel Martelly, par ailleurs suspecté, avec Henry, d’avoir fomenté l’assassinat de Moïse.

D’autre part, la population grogne et manifeste… contre l’idée d’une intervention qui, ne nous racontons pas de bobards, ne servira en rien à redonner à Haïti une quelconque autonomie sur sa propre sécurité.

Mais l’État colonial canadien, fort d’ambitions nées de l’écrasement des peuples autochtones et du peuple canadien-français, ambitions qui auraient peut-être dû s’écraser pour de bon sur le flanc des montagnes d’Afghanistan, ne se contente pas de sa position au sein du CORE Group. Il est aussi membre du Groupe de Lima, celui-là affairé à faire reconnaître un usurpateur comme président légitime du Venezuela en la personne de Juan Guaido.

Pendant ce temps, chez nous, le contribuable-colonisé-acculturé moyen a reporté au pouvoir un gouvernement de chambre de commerce.

Le Canada veut joindre son seigneur américain dans le paysagement de son arrière-cour, située entre le Guatemala et le Chili, aux prises avec l’éclosion des grandes bardanes d’une résistance bourgeonnante depuis la révolution bolivarienne. Après le Venezuela, ce fut en Bolivie, dans le Chili post-Pinochet et maintenant, espérons-le, au Brésil, où Lula pourrait retrouver le chemin de la présidence après le règne du potentat fanatique religieux Bolsonaro.

Le vent de la révolte souffle du Sud

Pendant ce temps, chez nous, le contribuable-colonisé-acculturé moyen a reporté au pouvoir un gouvernement de chambre de commerce, incluant un lobbyiste minier dans la circonscription où se trouve la fonderie Honte, pour reprendre la formule de Richard Desjardins.

Un peu plus d’une personne sur dix était prête à donner les clés du Parlement à un agent d’influence porteur d’idées issues des tréfonds vaseux de l’extrême droite politique américaine.

À l’heure où l’Europe croule elle-même sous les pas d’oie d’un fascisme jouvencé, la Résistance semble avoir égaré sa boussole.

Cette fois-ci, le vent de la révolte souffle surtout du sud.

Ajustons nos voiles.

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