Tapis rouge et offrandes humaines au virus
En abandonnant les derniers outils dans l’arsenal très imparfait de la prévention, comme les tests rapides, les gouvernements semblent obstinément prêts à laisser circuler la COVID-19, à court et moyen terme.
Le 31 décembre, Ottawa cessera de distribuer des tests rapides aux provinces. Même si cette décision est très étrange, elle est présentée par le gouvernement fédéral comme un effort pour redistribuer certains rôles pandémiques aux provinces.
On aurait pu croire que les provinces reprendraient effectivement le flambeau et le fardeau financier de cette mesure essentielle, dans un souci de prévenir la contagion et donc, nécessairement, les hospitalisations, les décès et la prévalence des formes longues de la maladie.
Or, l’Ontario a déjà affirmé plusieurs fois qu’elle arrêterait aussi d’offrir gratuitement des tests rapides à la fin de l’année, en raison de cette décision fédérale. On peut présumer – toutes choses égales par ailleurs – que le gouvernement Legault emboîtera également le pas, tout en mettant la faute sur Trudeau. J’espère me tromper.
J’espère surtout que nous serons assez à mettre la pression suffisante pour que nous ne retrouvions pas dans cette fâcheuse situation, de surcroît au cœur du temps des Fêtes.
Les impacts potentiels d’un arrêt de la distribution
Puisqu’une boîte de tests coûte 42,50 $ sur le marché et que les tests PCR ne sont accessibles qu’aux populations prioritaires, connaître la nature de son infection respiratoire ne serait donc accessible qu’aux mieux nanti·es. Combien de gens, évitant déjà de se tester, présument qu’ils n’ont qu’un « simple rhume » tout en allant allègrement respirer avec d’autres personnes dans des lieux clos? Impossible de le savoir, mais une chose est sûre : « vivre avec la COVID » en comprenant la nature variable du risque, notamment pour « prévenir des éclosions dans les soupers de famille », sera désormais un privilège de riches.
Il est bien possible qu’une éventuelle fin des tests rapides gratuits ait des conséquences très délétères sur la prévalence du virus au Québec : absentéisme au travail et à l’école, annulations d’activités culturelles ou d’évènements et, au pire du spectre, décès accrus. Déjà, le ministère de l’Éducation ne rend plus publics les cas dans les écoles.
Bref, nous serons contaminé·es allègrement, partout, mais dans l’aveuglement, sans savoir si c’est vraiment la COVID-19 qui nous afflige et sans pouvoir protéger les autres à temps, c’est-à-dire avant d’excréter une importante charge virale par aérosols.
« Vivre avec la COVID » sera désormais un privilège de riches.
Qui plus est, les conséquences physiologiques des réinfections à répétition n’ont pas l’air d’inquiéter la Direction générale de santé publique et le gouvernement Legault, ce qui devrait pourtant nous mettre en colère autant que les révélations dans le dossier de la fonderie Horne.
Panique sanitaire ou négligence mortifère?
Certain·es essayistes positionnés ailleurs sur le spectre politique, tels que le chroniqueur de CHOI Radio X Claude Simard ou Mathieu Bélisle, ont tenté d’analyser la réponse des gouvernements face à la pandémie en fonction de leur présumée « idéologie sanitariste », de leur « peur de la contagion » et même de leur « peur de la mort ». Bélisle affirme même, dans Ce qui meurt en nous, que « les efforts des autorités politiques pour prévenir la propagation d’un virus ont atteint un niveau jamais vu ».
Malheureusement, cette analyse primaire ne tient pas la route face aux données épidémiologiques ni aux discours et actions des dirigeants eux-mêmes.
Les mesures « fortes » et totalisantes du gouvernement Legault – couvre-feu, passeport vaccinal et autres – n’avaient pas vraiment comme objectif de réduire les infections, mais plutôt de permettre aux activités économiques de continuer de se dérouler sans anicroches, tout en donnant l’impression d’agir avec fermeté.
Il ne faudrait pas tomber dans le panneau de ce « spectacle », au sens de Guy Debord. Le fameux « sanitarisme », c’est justement cette mise en scène grotesque d’un faux désir de s’occuper de la santé des populations, ce piège tendu par les politiciens néolibéraux dans lequel beaucoup d’analystes semblent tomber.
Rappelons-nous qu’en 2022, le gouvernement ne savait même pas si le premier couvre-feu avait été efficace et a tout de même décidé d’en imposer un second pour 17 terribles jours. Moi et ma collègue Emma Jean avions pourtant démontré que le premier avec été inefficace pour réduire les cas, puisque la majorité des contacts contaminants se produisaient au travail et à l’école.
Le fameux « sanitarisme », c’est justement cette mise en scène grotesque d’un faux désir de s’occuper de la santé des populations.
Si le but visé avait été une réduction réelle du taux de reproduction du virus à chaque vague, cela ferait longtemps que des filtres HEPA à haute efficacité, fournis par le gouvernement, seraient installés dans tous les environnements fermés (milieux scolaires et de travail, industries, commerces).
Que chaque foyer aurait une boîte de masques KN95 et des centaines de tests rapides.
Que des cliniques mobiles sillonneraient le Québec en permanence pour vacciner les personnes âgées isolées à domicile.
Que des congés payés seraient garantis par l’État pour pouvoir compléter des cycles de dix jours de guérison et non uniquement de cinq jours.
Que des cliniques gratuites offriraient des soins aux personnes atteintes de COVID longue.
Que le gel hydroalcoolique cesserait de jouer le rôle d’un bénitier magique nous donnant une impression de sécurité sans ancrage avec les données scientifiques.
Non, au contraire, Arruda et la cellule de crise prônaient depuis le début le concept d’immunité collective : il fallait seulement étaler les infections dans le temps pour ne pas trop surcharger les hôpitaux. On sait maintenant hors de tout doute que l’immunité collective par rapport à la COVID-19 est une chimère. Même le microbiologiste Karl Weiss, qui avait affirmé que l’immunité collective était acquise, prétend désormais qu’on ne l’atteindra pas.
Le gouvernement provincial n’a pas peur de « produire » des malades chroniques.
Avec tout ça, le Québec est la province canadienne où la plus grande part de la population a contracté la COVID-19 : les trois quarts des Québécois·es (73,7 %) ont attrapé le virus, d’après les dernières analyses de « séroprévalence », basées sur des tests sanguins. La moyenne canadienne se situe à 62 % et la Colombie-Britannique, avec ses mesures de santé publique relativement sensées basées sur une reconnaissance de la transmission aérienne, a un taux de séroprévalence de seulement 52 %.
Une machine à produire des malades chroniques et des morts
Ceci est une très mauvaise nouvelle. Cela veut nécessairement dire que notre proportion de personnes affectées par la COVID longue est et sera beaucoup plus importante qu’ailleurs au Canada. Le gouvernement provincial n’a pas peur de « produire » des malades chroniques par son inaction en prévention des infections, au contraire. Il s’en accommode très bien, grâce la méthode du bon vieux déni.
Les réinfections au virus sont très néfastes pour la santé, comme le démontre une étude récente résumée par l’épidémiologue Eric Topol. Selon la physicienne et mathématicienne Nancy Delagrave, que j’ai interviewée pour l’occasion, « cette étude auprès de 5,4 millions de vétérans américains montre que les risques (cumulatifs) d’hospitalisation sont 11,28 fois plus élevés après trois infections et plus, 5,58 fois plus élevés après deux infections et 1,32 fois plus élevés après une infection que SANS infection. Le risque d’être hospitalisé est donc 8,54 fois plus élevé à trois infections qu’à une infection [soit] 2,84 fois de plus ».
Bref, le gouvernement et ses charmants amis de McKinsey, habitués à travailler avec les fabricants de cigarettes et de produits chimiques, jouent avec notre santé, notre qualité de vie, notre vie, pour le profit.
Après on voudrait nous faire croire qu’ils ont « peur de la mort » et qu’ils veulent installer une « société du risque zéro »? Non, c’est le contraire.
Tant qu’on ne reconnaîtra pas cette dimension nécropolitique dans l’action – et surtout l’inaction – des gouvernements en santé publique, nous serons condamné·es à revivre le même cauchemar, pendant que s’empilent nonchalamment les morts prématurées et les vies brisées.